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Les vagues de chaleur fragilisent l’agriculture et le cycle du vivant

Diversifier les cultures est la meilleure stratégie d’adaptation, analyse Chantal Gascuel, directrice de recherche à l’INRA, spécialiste de l’eau.

Le Monde Propos recueillis par Nathan Mann le 25/7/2019

Des champs de tournesols, à Agen, le 19 juillet.

 

Des champs de tournesols, à Agen, le 19 juillet. Regis Duvignau / REUTERS

Rendements faibles en raison de la chaleur intense et du stress hydrique, plantes brûlées par le soleil, champs propices aux incendies… L’agriculture est très vulnérable aux sécheresses estivales. Chantal Gascuel, directrice scientifique adjointe environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste de l’eau, revient sur les stratégies de gestion de l’eau du secteur agricole dans le contexte de changement climatique.

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Quels risques les épisodes de sécheresse font-ils courir à l’agriculture ?

L’agriculture est vulnérable, car tout le cycle du vivant, des cultures – la croissance, la floraison… – est très dépendant du climat. Ce cycle est donc bousculé dans les années atypiques, marquées par des vagues de chaleur, qui vont être de plus en plus fréquentes, et qui fragilisent l’agriculture. Outre la question de la disponibilité de l’eau, celle de sa qualité est aussi modifiée. De ce point de vue, on voit les sécheresses de manière très variée. En plus de regarder les niveaux des nappes, les scientifiques s’intéressent notamment à la longueur des cours d’eau. La qualité de l’eau s’acquiert sur les têtes de bassins et les petits cours d’eau sont de plus en plus longuement asséchés.

Cela peut avoir des conséquences sur les cycles de l’azote et du phosphore[les nutriments essentiels à la croissance des plantes]et ces perturbations vont induire – parce que les concentrations sont plus fortes et les systèmes aquatiques plus vulnérables avec la hausse des températures – une tension sur la qualité des eaux. Les excédents d’azote et de phosphore sont moins dilués, mais aussi émis de manière plus variable, en fonction des pluies et des températures. Donc la sécheresse accroît certains impacts environnementaux de l’agriculture. Elle peut par exemple accroître l’eutrophisation – un excès de matière vivante dans les systèmes aquatiques.

Quelles sont les stratégies à privilégier pour faire face aux sécheresses ?

La première stratégie, c’est de privilégier les cultures au moment où on a de l’eau, donc les cultures d’hiver par rapport aux cultures d’été. Il faut rechercher des rotations qui sont moins gourmandes en eau, travailler les espèces mais aussi la diversité génétique pour avoir des variétés qui sont plus résistantes.

Par ailleurs, quand on allonge les rotations, que l’on met des intercultures, la restitution d’une part de la biomasse au sol est ­globalement plus importante. Cela contribue à l’augmentation du carbone dans le sol, et donc à l’atténuation du changement ­climatique. Cela contribue aussi à la meilleure qualité des sols, qui retiennent l’eau davantage et qui s’assèchent moins, ce qui permet de nourrir la plante plus longtemps au cours de son cycle cultural.

Il y a aussi des solutions autour de l’irrigation. Les stratégies consistent alors à mettre l’eau en quantité réduite, au bon moment, près des racines, donc de mieux raisonner l’apport de l’eau. La dernière solution, qui pose question et nécessite de réfléchir au cas par cas, ce sont les retenues d’eau. Ce sont des solutions qui viennent en dernier lieu car l’ensemble des retenues peuvent avoir des impacts cumulés sur les cours d’eau et sur les nappes.

C’est ce qu’a établi une expertise scientifique conjointe menée par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture et l’INRA il y a quelques années : les retenues peuvent avoir des conséquences négatives sur la ressource en eau globalement, mais aussi sur la qualité de l’eau et sur les écosystèmes aquatiques. Donc les retenues apparaissent comme une solution, mais de bout de chaîne, dans une logique globale privilégiant les deux premières options.

Aujourd’hui, nous essayons de plus en plus de travailler sur des solutions au cas par cas, en prenant en compte le climat, le système de culture, la recharge en eau et la retenue. Tous les outils de modélisation que l’INRA fabrique en ce moment sont toujours relatifs à un contexte et à une situation.

Certaines cultures doivent-elles être valorisées,ou écartées ?

Il faut surtout insister sur la diversification des cultures : dans la rotation, avec des cultures et des variétés différentes dans un territoire. On avait auparavant de manière dominante une ou deux cultures dans un territoire. Il faut remettre des rotations – de la succession des cultures sur plusieurs années – longues et diversifiées pour avoir un territoire qui n’aura plus une seule culture. Mais, attention, cela ne se fait pas du jour au lendemain, car réintroduire de nouvelles espèces et variétés veut dire réintroduire des filières qui utilisent ces produits, y trouvent un marché.

Face au changement climatique, on va donc créer de la diversité dans le temps et dans l’espace. Le temps de la monoculture de maïs est révolu, on va mélanger les cultures plus ou moins gourmandes, et la diversité au sein des espèces. Il faut diversifier pour étaler le besoin d’eau dans le temps et dans l’espace, mais aussi le réduire.

Cela va amener un changement de production et de manière d’alimenter les animaux et les hommes. Si on diminue la part du maïs, on introduira d’autres productions qui devront répondre aux besoins des consommateurs. Cela sera peut-être moins productif une année mais les productions seront plus stables d’année en année.

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