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« Ecraser Rafah constitue l’ultime étape de cette stratégie de liquidation afin que les Gazaouis quittent en masse leur territoire »

Tribune

Jean-Paul Chagnollaud

Politiste

Agnès Levallois

Spécialiste du Moyen-Orient

Agnès Levallois et Jean-Paul Chagnollaud, vice-présidente et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée - Moyen-Orient, expliquent, dans une tribune au « Monde », que l’offensive contre Rafah et la mise en cause de l’UNRWA sont la poursuite d’un seul et même objectif par Nétanyahou : liquider la question palestinienne.

 

Dans notre monde surmédiatisé, une information chasse l’autre avant même qu’on ait eu le temps d’en comprendre le sens. Et, pourtant, les déclarations de responsables israéliens, la mise en cause radicale de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) et l’imminente offensive terrestre de l’armée contre Rafah forment un tout très cohérent qui révèle le véritable objectif du gouvernement Nétanyahou : liquider la question palestinienne.

 

Toutes les déclarations des officiels israéliens convergent pour affirmer leur volonté d’en finir non seulement avec le Hamas, mais avec la population de la bande de Gaza pour qu’elle ne puisse plus y vivre. On les trouve tous les jours dans la presse israélienne. Pour Benyamin Nétanyahou, le 3 novembre 2023 : « Cest une guerre entre les fils de la lumière et les fils des ténèbres. Nous nabandonnerons pas notre mission tant que la lumière naura pas vaincu les ténèbres. »

 

De son côté, le président Herzog, travailliste, a dit, le 12 octobre : « Cest toute une nation qui est responsable. Tous ces beaux discours sur les civils qui ne savaient rien et ne faisaient rien sont absolument faux. … et nous nous battrons jusqu’à leur briser la colonne vertébrale. » Quant au ministre de la défense, Yoav Gallant, le 9 octobre, il « impose un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de combustible. Tout est fermé ». Et d’ajouter : « Ceux que nous combattons sont des animaux et nous agissons en conséquence. »

 

L’UNRWA est, pour Israël, un obstacle majeur

Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir (extrême droite), a expliqué, le 10 novembre : « Pour être clair, lorsque nous disons que le Hamas doit être détruit, cela englobe tous ceux qui apportent leur soutien… Ce sont tous des terroristes et tous doivent également être détruits. » Le général Giora Eiland a réitéré, le 9 octobre, son appel à rendre Gaza inhabitable : « L’Etat dIsraël na pas dautre choix que de faire de Gaza un lieu où il sera temporairement, ou pour toujours, impossible de vivre. »

 

Ces propos ont été immédiatement mis en œuvre et, comme en miroir, un haut responsable de l’ONU constate que « la situation est devenue apocalyptique pour les Palestiniens chassés dans une poche au sud vivant dans une horreur absolue ». Ils « continuent d’être bombardés sans relâche par Israël, subissent l’état de siège et des destructions et sont privés de l’essentiel, comme la nourriture, leau, les fournitures médicales vitales ».

 

Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a interpellé, le 6 novembre 2023, la communauté internationale en parlant « d’une crise de l’humanité », et la directrice de l’Unicef, Catherine Russell, a déploré, le 1er décembre, que Gaza soit « lendroit le plus dangereux au monde pour un enfant ». Dans une telle configuration, l’UNRWA est, pour Israël, un obstacle majeur, parce qu’elle est au cœur d’un soutien vital aux 6 millions de réfugiés palestiniens à Gaza, en Cisjordanie et dans les pays voisins.

 

Processus de décrédibilisation de l’Agence

C’est encore plus vrai depuis le 7 octobre, l’Agence jouant un rôle décisif pour venir en aide aux Gazaouis plongés dans le dénuement le plus total. Son commissaire général, Philippe Lazzarini, n’a de cesse d’alerter sur la dramatique situation qui y prévaut et de dénoncer les attaques contre des bâtiments de l’Agence qui servent d’abri aux Palestiniens chassés de chez eux. Le 4 janvier 2024, une officielle israélienne, Noga Arbell, rappelait : « Il est impossible de gagner la guerre si nous ne détruisons pas l’UNRWA, et cette destruction doit commencer immédiatement. »

 

Si l’affaire des douze employés de l’Agence (sur 30 000, dont un tiers à Gaza) soupçonnés de complicité dans l’attaque du 7 octobre doit évidemment faire l’objet d’une enquête, pour Nétanyahou c’est l’occasion de poursuivre le processus de décrédibilisation de l’Agence pour mieux la « détruire », pensant ainsi en finir avec la question palestinienne. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender l’imminente attaque de Rafah, où se trouvent plus d’un million de personnes confrontées au dénuement extrême et à la famine.

 

Ecraser Rafah constitue l’ultime étape de cette stratégie de liquidation, afin que les Gazaouis quittent en masse leur territoire pour aller en Egypte ou ailleurs, et pourquoi pas en Europe, comme l’ont écrit les hommes politiques israéliens Danny Danon et Ram Ben Barak, le 13 novembre 2023, dans le Wall Street Journal, en insistant pour que « l’Europe fasse preuve de compassion ». De son côté, Itamar Ben Gvir rappelle sans cesse que « l’émigration des habitants de Gaza est nécessaire ». Ce qui permettrait un retour de colons juifs à Gaza…

 

Il est urgent d’agir

Cet objectif de nettoyage ethnique est pris très au sérieux par le haut-commissaire aux droits de l’homme, qui s’est dit, le 4 janvier 2024, « très troublé par les déclarations de hauts responsables israéliens sur les projets de transfert de civils de la bande de Gaza vers des pays tiers ». Tout ceci permet de mieux saisir l’extrême gravité de la situation et de comprendre à quel point les réactions des pays occidentaux décidant de suspendre leur contribution financière à l’UNRWA sont irresponsables.

 

Sans même attendre le résultat des enquêtes en cours, ils aggravent brutalement une situation déjà dramatique et piétinent leurs obligations de faire respecter les décisions de la Cour internationale de justice, qui, dans son ordonnance du 26 janvier, « considère quIsraël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir lincitation directe et publique à commettre le génocide à lencontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza… qu’il doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de laide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions dexistence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

 

C’est tout le contraire qui risque de se dérouler dans les prochains jours, tandis que la colonisation se poursuit à un rythme effréné en Cisjordanie. Il est urgent d’agir avant que l’irréparable ne soit commis dans une attaque contre Rafah qui, même selon Washington, serait un « désastre ».

 

Jean-Paul Chagnollaud est président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée - Moyen-Orient (iReMMO), professeur émérite de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise. Il est notamment l’auteur d’Israël-Palestine. La défaite du vainqueur (Actes Sud, 2017) ; Agnès Levallois est maîtresse de conférences à la Fondation pour la recherche stratégique, chargée de cours à Sciences Po Paris, vice-présidente de l’iReMMO et membre du comité de rédaction de la revue Confluences Méditerranée.

 

Jean-Paul Chagnollaud(Politiste) et Agnès Levallois(Spécialiste du Moyen-Orient)