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Joe Biden, 81 ans, confronté à des doutes aigus sur sa santé, à neuf mois de la présidentielle aux Etats-Unis

Le procureur spécial Robert Hur, chargé d’enquêter sur des documents classifiés indûment détenus durant des années par le démocrate, a décidé de ne pas l’inculper. Pour justifier sa décision, il explique n’avoir pas réuni suffisamment d’éléments. Et pointe aussi la mémoire défaillante du président américain, candidat à sa réélection.

Par Piotr Smolar (Washington, correspondant)

Publié aujourd’hui à 05h45, modifié à 08h47

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Le président américain, Joe Biden, en conférence de presse depuis la Maison Blanche, à Washington, le 8 février 2024. EVAN VUCCI / AP

 

La phrase est terrible. Elle prive Joe Biden de tout soulagement, à la lecture du rapport du procureur spécial Robert Hur, publié jeudi 8 février. Le magistrat a enquêté sur les documents classifiés détenus sans autorisation par le démocrate avant son élection. M. Hur a conclu qu’il ne disposait pas assez d’éléments en vue d’une inculpation, même si ces archives ont été conservées à tort. Dans son long rapport, le procureur écrit ceci, pour justifier sa décision : « Nous avons aussi estimé qu’au moment d’un procès, M. Biden se présenterait sans doute devant un jury, comme il l’a fait lors de notre entretien avec lui, comme un homme âgé, sympathique et bienveillant, avec une mauvaise mémoire. »

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Relevant plus du commentaire spéculatif que de l’appréciation juridique, la phrase de Robert Hur ressemble à une grenade dégoupillée. « Si vous êtes trop sénile pour être jugé, alors vous êtes trop sénile pour être président », a aussitôt réagi Alex Pfeiffer, l’un des conseillers de Donald Trump. Les nombreuses références dans le rapport à la mémoire défaillante de Joe Biden – entendu par le procureur en octobre 2023 – donnent une force inédite aux interrogations sur sa capacité physique et mentale à se représenter.

Très remonté en raison de la couverture médiatique du rapport, Joe Biden s’est présenté devant les journalistes pour une intervention imprévue, vers 20 heures. Il a rejeté toute allusion à sa santé défaillante – « ma mémoire va bien » – et s’apprêtait après dix minutes à quitter la pièce, lorsqu’il a rebroussé chemin pour évoquer les négociations en cours sur les otages à Gaza. Il a alors mentionné « le président du Mexique, Sissi ». Qui est celui de l’Egypte.

Simple bourde ? Les épisodes inquiétants se multiplient. Le 6 février, à la Maison Blanche, il était presque douloureux de voir Joe Biden chercher ses mots en plissant les yeux. Le président des Etats-Unis venait de lire un discours offensif, dans lequel il dénonçait les calculs républicains au Congrès, au sujet de la sécurisation de la frontière avec le Mexique. Puis un journaliste l’avait, là aussi interrogé, sur les otages à Gaza. « Il y a du mouvement, et je ne veux pas… je ne veux pas… eh bien, laissez-moi… choisir mes mots. Il y a du mouvement. Il y a eu une réponse du… il y a eu une réponse de l’opposition, mais… » Dans l’assistance, on vient à son secours. « Du Hamas ? » Joe Biden enchaîne. « Oui, je suis désolé, du Hamas. Mais elle semble un peu dépasser les bornes. »

 

Une fragilité physique et mentale

Les interactions avec la presse sont rares et courtes. Aucune conférence de presse n’était prévue le 9 février avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, lors de sa visite officielle à Washington. Sans parler de l’absence d’entretien télévisé, le 11 février, à l’occasion du grand rendez-vous du Super Bowl, la finale du championnat de football américain. Pour la deuxième année de suite, Joe Biden se dérobe devant cet exercice, qui bénéficie pourtant d’une audience exceptionnelle. En 2023, il avait l’excuse d’un diffuseur hostile, Fox News ; cette fois, c’est le grand réseau CBS. « Nous espérons que les téléspectateurs prendront du plaisir à regarder ce pour quoi ils ont allumé leur écran, le match », a expliqué le directeur des communications de la Maison Blanche, Ben LaBolt. L’argument officiel est donc celui d’une saturation de l’opinion publique vis-à-vis de la politique, à neuf mois de l’élection présidentielle.

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Plus les mois passent et plus s’installe l’idée d’une fragilité physique et mentale de Joe Biden. D’une part, une démarche raide et incertaine, une difficulté parfois à identifier la sortie d’une estrade, raillée cruellement sur les réseaux sociaux par les militants trumpistes. De l’autre, une élocution enrayée, des syllabes de plus en plus avalées, même si Joe Biden n’a jamais été un grand orateur. Sa vulnérabilité produit un effet ravageur, bien au-delà des politiques menées et d’un bilan globalement très solide. Le commandant en chef ne doit-il pas être le premier ambassadeur de la vitalité nationale ?

 

Le déni du Parti démocrate

Invoquer en réponse l’infirmité de Franklin D. Roosevelt n’a pas beaucoup de sens. Celui qui fut quatre fois président des Etats-Unis a été diagnostiqué de la polio alors qu’il n’avait que 39 ans. Sa maladie n’était pas la conséquence de son âge. Elu à 78 ans, Joe Biden ne devait être qu’une figure de transition après l’ère trumpienne. « Ecoutez, je me vois comme un pont, et pas autre chose », avait dit le candidat en mars 2020, à Detroit. A ses côtés se trouvaient sa future vice-présidente, Kamala Harris, et Gretchen Whitmer, la gouverneure du Michigan, aujourd’hui vue comme l’une des figures montantes à gauche.

Mais le pont prétend s’allonger de quatre ans, alors que sa solidité inquiète. Discipliné jusqu’à l’excès – celui du déni –, le Parti démocrate prie secrètement pour que la santé de Joe Biden tienne jusqu’à l’élection. Seul le représentant Dean Phillips (Minnesota), qui défie le président pour l’investiture démocrate dans l’indifférence générale, a mis en cause son âge. « Les gens ressentent qu’il se trouve à une étape de sa vie incompatible avec le fait de conduire le monde libre », expliquait-il, en janvier, dans le New Hampshire.

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Dans un sondage publié par NBC News début février, 76 % des personnes interrogées exprimaient des préoccupations majeures (62 %) ou modérées (14 %) sur le fait que Joe Biden ne serait pas capable, mentalement et physiquement, d’assumer un second mandat. Un résultat constant depuis septembre 2023, et encore plus inquiétant dans le détail : 81 % des indépendants et 54 % des démocrates partagent cet avis pessimiste. Ce chiffre ne monte qu’à 48 % pour Donald Trump, âgé de 77 ans.

 

« Mitterrand, d’Allemagne… »

Ces derniers mois, les journalistes suivant la Maison Blanche ont eu l’impression que le président était placé sous cloche par son entourage. La presse se contente de brefs échanges sur le tarmac d’un aéroport, à la sortie de la Maison Blanche ou au terme d’une rencontre officielle, comme avec son homologue chinois, Xi Jinping, en Californie, mi-novembre 2023. A l’instar de Donald Trump, qui a refusé de participer aux débats dans la primaire républicaine et parle essentiellement à des médias conservateurs complaisants, Joe Biden privilégie le monologue au détriment de la contradiction. Sa dernière interview en tête-à-tête a été accordée en décembre 2023 au comédien et ex-présentateur Conan O’Brien, pour un podcast.

Mais si ses week-ends privés dans le Delaware sont fréquents et longs, il serait faux de dire que Joe Biden est invisible. Il prononce régulièrement des discours, rencontre des dirigeants étrangers. Il effectue des déplacements dans tout le pays et prend la parole devant des publics favorables ou des donateurs démocrates, pour défendre son bilan et dénoncer la menace représentée par Trump pour la démocratie américaine. Ce fut encore le cas le 4 février, lors d’un meeting à Las Vegas (Nevada).

Le caractère très oral et parfois décousu de son intervention y était mis en évidence par un usage surabondant de « guess what ? » (« devinez quoi ? ») et « by the way » (« au fait ») que tous les exégètes du « bidenisme » connaissent. Avant de conclure, évoquant l’onde du choc du 6 janvier 2021 au Capitole, Joe Biden a rappelé l’une de ses anecdotes favorites : lors de l’un de ses premiers sommets internationaux comme président, il avait lancé que « l’Amérique [était] de retour ». La suite ? « Et Mitterrand, d’Allemagne, je veux dire de France, m’a regardé et a dit… vous savez… vous êtes de retour pour combien de temps ? » Il ne s’agissait ni d’Allemagne ni de Mitterrand. Mais d’Emmanuel Macron. Dans la soirée du 7 février, devant des donateurs à New York, Joe Biden a cette fois évoqué le rôle principal de l’ancien chancelier Helmut Kohl… décédé quatre ans avant ce sommet.

 

Les errements de Donald Trump pour diversion

Interrogée sur la chaîne MSNBC au sujet de l’âge de Joe Biden, l’ancienne speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qui va bientôt fêter ses 84 ans, a royalement ignoré la question. « Les gens doivent comprendre les enjeux du scrutin », a lancé la démocrate, en énumérant l’avortement, les attaques républicaines contre l’assurance-maladie ou encore le climat. Questionnée sur l’épisode « Mitterrand », Karine Jean-Pierre, la porte-parole de la Maison Blanche, avait également refusé de répondre : « Je ne vais même pas m’aventurer sur cette voie avec vous. » Joe Biden, lui, a décidé de traiter ces interrogations par l’humour, en plaisantant régulièrement sur son âge avancé. Un jour, il dit avoir « 198 ans ». Un autre, qu’il est engagé sur les questions de politique étrangère « depuis deux cent soixante-dix ans ». Ses proches plaident l’expérience incomparable et la sagesse.

L’autre stratégie de l’entourage du président consiste à détourner l’attention vers les faiblesses de Donald Trump et ses propres errements. Récemment en meeting, ce dernier a confondu Nikki Haley, sa dernière rivale dans la course à l’investiture républicaine, avec Nancy Pelosi, ou encore Joe Biden et Barack Obama. Mais il existe une sorte d’indulgence ou de fatalisme généralisé, en matière de cohérence attendue de la part de Donald Trump, surtout chez ses partisans ardents. D’autant que, physiquement, celui-ci incarne une vigueur plus évidente que Joe Biden. Depuis des années, Trump introduit dans ses interventions un passage sur ses résultats supposément brillants dans un test cognitif, dont personne n’a confirmé la réalité. Il en a raconté d’ailleurs plusieurs versions. Lors de la dernière, en janvier, il mentionnait « 35, 30 questions » et l’identification d’animaux : « Une girafe, un tigre ou ceci, ou cela, une baleine. » Selon l’ancien président, « ça devient de plus en plus dur » au fil des questions.

Dans sa campagne contre Donald Trump, Nikki Haley plaide pour un changement générationnel, au lieu d’évoquer les inculpations multiples de l’ex-président. Au soir de sa défaite dans le New Hampshire, le 23 janvier, l’ancienne gouverneure de Caroline du Sud a eu cette formule marquante : « Le premier parti à mettre à la retraite son candidat de 80 ans sera le parti qui gagnera cette élection. » Ni l’un ni l’autre ne semble disposé à céder sa place. L’âge médian aux Etats-Unis est de 38,9 ans.

 

Piotr Smolar(Washington, correspondant)