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Devant la Cour internationale de justice, Israël accusé d’entraver l’« autodétermination » des Palestiniens

La grande majorité des cinquante Etats qui ont plaidé devant les juges de La Haye ont réclamé la fin « immédiate » de l’occupation israélienne et le retrait de ses forces des territoires palestiniens.

Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)

Publié aujourd’hui à 18h00

 

 Le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, et l’ambassadeur palestinien auprès de l’ONU, Riyad Mansour, assistent à une audience publique organisée par la Cour internationale de justice à La Haye (Pays-Bas), le 19 février 2024.

Le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, et l’ambassadeur palestinien auprès de l’ONU, Riyad Mansour, assistent à une audience publique organisée par la Cour internationale de justice à La Haye (Pays-Bas), le 19 février 2024. PIROSCHKA VAN DE WOUW / REUTERS

 

Du 19 au 26 février, les représentants de cinquante Etats et trois organisations internationales ont défilé devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour exposer leur point de vue sur le dossier soumis à l’appréciation des juges de La Haye : cinquante-six ans après son début, en 1967, l’occupation par Israël des territoires palestiniens est-elle légale ? La plus haute juridiction onusienne a entamé son délibéré et rendra d’ici cinq à six mois l’avis juridique demandé par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2022. Dans l’hypothèse où les magistrats répondraient par la négative, ils devront préciser les conséquences de cet avis pour Israël et ses alliés. Leur jugement n’est pas contraignant mais aura un poids diplomatique certain, ont assuré les intervenants.

 

Trente minutes, c’était le temps imparti à chaque Etat venu plaider devant la CIJ. Dans la grande salle du palais de la Paix, le ministre des affaires étrangères palestinien, Riyad Al-Maliki, l’ambassadrice de la Palestine aux Pays-Bas, Rawan Sulaiman, et celui aux Nations unies, Riyad Mansour, un keffieh en écharpe, ont accueilli les délégations une à une à l’ouverture des audiences, le 19 février. Israël a choisi de ne pas venir au palais de la Paix. En juillet, l’Etat hébreu avait répondu en cinq pages lors de l’étape écrite de cette procédure. Et à La Haye, le Royaume-Uni, comme d’autres alliés d’Israël, dont la Hongrie et les Fidji, se sont fait ses porte-parole.

 

Londres a signifié à la Cour que ce conflit vieux de soixante-quinze ans n’était pas vraiment l’affaire de la communauté internationale. C’est au contraire de l’« ordre du monde » qu’il s’agit, tel qu’établi après la seconde guerre mondiale, ont rétorqué plusieurs avocats et diplomates. Plaidant pour l’Organisation de la coopération islamique (OCI), le 26 février, la professeure de droit public Monique Chemillier-Gendreau a estimé qu’« il faut un tiers impartial » pour décider de la « norme commune », avant d’inviter les juges à « ramener l’ensemble de ce conflit sous la lumière du droit ».

 

« La terre contre la paix »

Il est encore trop tôt pour savoir si ces six jours d’audiences déboucheront sur une décision historique. Tout dépendra des juges. Ils devraient, sans grand suspense, acter l’illégalité de l’occupation des territoires palestiniens, comme déjà dénoncé dans plusieurs rapports et résolutions de l’ONU. Mais, au moment de tirer les conséquences de cette illégalité, choisiront-ils la prudence, comme le leur ont demandé les Etats-Unis ? Ou décideront-ils que l’illégalité de l’occupation implique le retrait « immédiat, inconditionnel et unilatéral » des territoires occupés, comme l’ont demandé les Palestiniens et la majorité des Etats venus plaider au palais de la Paix à La Haye ?

 

Sous les vitraux de la salle d’audience, le conseiller juridique du département d’Etat américain, Richard Visek, a demandé à ces juges de « préserver et promouvoir » le cadre des négociations existant depuis des décennies. Ce cadre, fondé sur le principe de « la terre contre la paix », prévoit des discussions directes entre Palestiniens et Israéliens, sous les auspices de la « communauté internationale ». Israël ne mettra un terme à son occupation que lorsqu’il aura obtenu des garanties de sécurité, a assuré le représentant de Washington.

 

Mais « un retrait [des territoires] conditionné au résultat des négociations politiques donne effectivement à Israël un veto sur l’avenir du peuple palestinien », a objecté la professeure Phoebe Okawa, lorsque est venu son tour de plaider au nom de la Namibie. Pour l’OCI, Monique Chemillier-Gendreau a rejeté l’idée d’une négociation bilatérale dans les conditions actuelles. « La Palestine est sous la domination militaire d’Israël et ses représentants sont dans une position de faiblesse structurelle. Dès lors, toute négociation est biaisée et le traité qui en résultera sera nécessairement un traité inégal », a dit la professeure.

 

Il faut changer le « cadre », a-t-elle ajouté, appelant à une négociation sous l’égide des Nations unies, « garante du respect du droit, et non sous le parrainage arbitraire d’Etats tiers, manquant d’objectivité », une référence implicite aux Etats-Unis. « Nous avons essayé d’autres forums pendant soixante-quinze ans [depuis la création de l’Etat d’Israël, en 1948] et nous avons toujours été confrontés au veto américain », a commenté, après la plaidoirie américaine, le ministre des affaires étrangères palestinien, Riyad Al-Maliki.

 

« Processus d’annexion »

Durant cette bataille juridique de six jours, c’est sans doute le mot « autodétermination » qui a le plus résonné sous les voûtes de la monumentale salle d’audience du palais de la Paix, suivi de près par « apartheid » et « colonisation ». Plusieurs Etats ont cherché à démontrer que l’occupation qui a suivi la guerre de juin 1967 est illégale parce qu’elle cache une volonté d’acquisition de territoires par la force. « L’expansion des colonies démontre clairement qu’Israël est engagé dans un processus d’annexion de ces terres depuis des décennies », a déclaré le procureur général d’Irlande, Rossa Fanning.

 

Depuis la seconde guerre mondiale, l’acquisition de territoires par la force est interdite. C’est une « norme obligatoire », et « non négociable », dit le droit international, l’une des huit normes qui définissent « les règles du jeu » entre les Etats. Plaidant pour la France, le 21 février, Diégo Colas, le directeur des affaires juridiques du Quai d’Orsay, a soutenu que, « dans les territoires palestiniens occupés, comme partout ailleurs, la France ne reconnaîtra jamais l’annexion illégale de territoire ».

 

Selon l’Indonésie, l’Afrique du Sud, la Namibie, la Tunisie, l’Irlande et d’autres pays, Israël viole une autre norme : celle qui interdit l’apartheid. Dans les territoires occupés, la vie des Palestiniens et des colons juifs est régie par deux systèmes différents, les seconds bénéficiant de nombreux droits interdits aux premiers. Selon de nombreux rapports onusiens et d’organisation des droits de l’homme, la présence de ces colons, qui sont plus de 700 000 aujourd’hui, dont 230 000 installés à Jérusalem-Est, viole les conventions de Genève, qui interdisent à l’occupant de modifier la démographie d’un territoire occupé. La professeure Monique Chemillier-Gendreau a rappelé aux quinze juges qu’un traité de paix est nul s’il est en conflit avec l’une de ces normes du droit international.

 

« Ames perdues »

Plaidant le premier jour, les Palestiniens ont demandé aux juges de rendre une décision « précise » et « détaillée ». Selon plusieurs Etats, si l’occupation est déclarée illégale, alors, outre se retirer des territoires occupés, Israël devra réparer, « restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale », a dit l’ambassadeur du Liban aux Pays-Bas, Abdel Sattar Issa.

Evoquant la présence des colons dans les territoires palestiniens, le ministre de la justice du Pakistan, Ahmed Irfan Aslam, a abordé les problèmes pratiques posés par le processus de décolonisation. « Ils ont été surmontés dans d’autres contextes, comme lorsque le gouvernement français a retiré un million de colons d’Algérie en 1962, a-t-il dit. Les pieds-noirs étaient plus nombreux que les colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. »

 

Si l’occupation est déclarée illégale, alors cela aura aussi des conséquences sur les Etats. « Tous les membres de l’ONU sont tenus par le droit et doivent mettre fin à la présence israélienne sur le territoire de la Palestine, a plaidé l’avocat franco-britannique Philippe Sands, au nom de la Palestine. Pas d’aide, pas d’argent, pas d’armes, pas de commerce. Rien. »

 

Alors que les images des atrocités commises par l’armée israélienne à Gaza inondent les réseaux sociaux, deux diplomates n’ont pas réussi à contenir leur émotion. « Qu’est-ce que le droit international signifie pour les enfants palestiniens de Gaza aujourd’hui ?, s’est indigné, à l’ouverture des débats, l’ambassadeur palestinien aux Nations unies. Il n’a pas su les protéger, pas plus que leur enfance, leur famille et leur communauté. Il n’a protégé ni leur vie, ni leur corps, ni leurs espoirs, ni leur maison. » Trois jours plus tard, le représentant du Koweït, Ebraheem Al-Dafiri, interpellait la communauté internationale dans un sanglot : « Pourquoi ces âmes perdues et cette absence de conscience parmi les pays du monde ? » Soudainement, la brutalité de la guerre de Gaza bousculait le confort et la solennité de la salle d’audience.

 

Stéphanie Maupas(La Haye, correspondance)