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Loi de programmation militaire : un débat sous vigilance à l’Assemblée nationale

Ce texte crucial, qui planifie 413 milliards d’euros de dépenses militaires jusqu’en 2030, est examiné par les députés à partir du lundi 22 mai. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a donné des gages aux différents groupes politiques de l’Hémicycle, dans l’espoir de faire voter le projet malgré l’absence de majorité absolue pour l’exécutif.

Par Elise Vincent

 

 Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, à l’Assemblée nationale, le 11 avril 2023.

Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, à l’Assemblée nationale, le 11 avril 2023. SARAH MEYSSONNIER / REUTERS

 

Après des mois d’allers-retours et au moins autant de retards, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 arrive enfin à l’Assemblée nationale, ce lundi 22 mai, où elle sera débattue durant une quinzaine de jours. C’est un texte d’une importance majeure pour les armées, puisqu’il planifie quelque 413 milliards d’euros de dépenses militaires jusqu’en 2030, dans un contexte international très dégradé à cause de la guerre en Ukraine et à un moment de grande fragilité politique pour l’exécutif, deux mois seulement après le débat sur la réforme des retraites.

 

« Tout peut basculer à n’importe quel moment », estime un observateur avisé, en référence à l’absence de majorité absolue pour le gouvernement dans l’Hémicyle. Les sujets de défense donnent d’ordinaire rarement lieu à des batailles politiques, mais la future LPM fait malgré tout l’objet, depuis plusieurs semaines, d’une vigilance serrée. En particulier de la part du ministre des armées, Sébastien Lecornu, conscient que ce texte devrait constituer son principal legs politique à ce ministère, un certain nombre d’arbitrages engageant la France sur plusieurs dizaines d’années.

 

Depuis le 9 mai, cette surveillance rapprochée s’est traduite par un suivi in extenso, de sa part, de l’examen préalable du texte et de ses quelque 700 amendements en commission de la défense de l’Assemblée nationale. Exit aussi les déplacements à l’étranger : ces dernières semaines, son agenda a été en grande partie consacré à une méthodique tournée dans plusieurs régiments de l’armée de terre, où la LPM prévoit les transformations les plus lourdes – baisses du nombre de blindés, réorientation vers le cyber et les drones.

 

Sanctuarisation des ressources

« Je suis plutôt optimiste, même si je ne suis pas béat », estime, pour sa part, Jean-Michel Jacques, député (Renaissance) du Morbihan, désigné rapporteur du projet de loi. Cet ancien commando marine, infirmier pendant plus de vingt ans au sein des forces spéciales françaises (1988-2010) – dans les commandos Trepel et Jaubert, notamment –, a lui aussi préparé les débats à l’Assemblée nationale au millimètre.

 

Un travail de dentellière que reflète le tableau des 229 amendements adoptés en commission. A l’issue de trente-trois heures de débats, le 12 mai, Renaissance pouvait afficher 120 amendements au compteur sans que les oppositions les plus remuantes ne soient oubliées. Les Républicains (LR), le Rassemblement national et La France insoumise (LFI) ont, à une unité près, tous obtenu le même nombre d’amendements, soit six ou sept chacun. Les écologistes n’en ont eu qu’un seul, mais sa portée se veut symboliquement importante : il concerne l’inscription, noir sur blanc, dans la LPM, du changement climatique « comme un facteur de changement profond pour les armées ».

 

Les chefs de groupe ont aussi été soignés. Olivier Marleix, d’abord, le président du groupe LR, dont les 62 députés sont essentiels à l’adoption du texte, peut se targuer d’avoir été entendu sur la sanctuarisation des ressources dites « extrabudgétaires ». C’est-à-dire cette enveloppe de 13 milliards d’euros (sur 413 milliards) qui ne pouvait être garantie jusque-là, car elle correspondait à l’anticipation de futures cessions immobilières ou d’éventuels gestes de solidarité interministérielle. Le texte prévoit désormais un abondement automatique des futures lois de finances. Une sérieuse épée de Damoclès en moins, au passage, pour le ministère des armées.

 

Alors que le pouvoir des parlementaires français en matière de défense a toujours été bien moindre que celui de leurs homologues allemands ou américains, plusieurs amendements adoptés, dont un issu des rangs d’Horizons, porté par le député Jean-Charles Larsonneur (Finistère), devraient accroître leurs capacités de contrôle sur l’exécution de la LPM. Si le texte est voté en l’état après examen au Sénat, les mises à jour annuelles de la LPM devront systématiquement faire l’objet d’un débat au Parlement. Un vote en bonne et due forme devra en outre avoir lieu à mi-parcours de la LPM, soit avant 2027.

 

Menace de l’abstention

Reste à savoir si tous ces brossages dans le sens du poil des députés suffiront à aplanir les débats. La principale difficulté de l’exécutif est en effet de réussir à faire voter un texte qui se résume à un immense paradoxe : une hausse historique du budget des armées (+ 40 % par rapport à la précédente LPM, 2019-2025), mais des acquisitions en baisse ou décalées dans le temps sur presque toutes les grandes lignes capacitaires traditionnelles (blindés, frégates, aviation, etc.). Et ce en raison de l’explosion du coût de l’énergie et des matériaux – ce qui représente 30 milliards d’euros sur les 413 milliards prévus.

 

 

Certains députés LR ont d’ores et déjà brandi la menace de l’abstention. LFI, de son côté, a prévu de présenter, lundi, deux heures avant le début des discussions, son « contre-projet » de LPM. « Le travail en commission a surtout permis d’améliorer leur projet [celui de la majorité], il faut maintenant un affrontement d’idées », estime Bastien Lachaud, député (LFI) de Seine-Saint-Denis. Un contre-projet qui reprend la proposition de « conscription obligatoire » de Jean-Luc Mélenchon et veut créer le débat sur « la dissuasion post-nucléaire » alors que le renouvellement des différentes composantes de la dissuasion actuelle représente entre 50 milliards et 60 milliards d’euros, soit une hausse de 60 % par rapport à la précédente LPM.

 

Enfin, une séquence délicate se profile pour le gouvernement concernant les articles sur le cyber (31 à 35). Ils visent à renforcer les pouvoirs de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) pour lutter contre l’explosion des cyberattaques, en particulier celles venant d’acteurs étatiques comme la Russie ou la Chine. Ce renforcement passe notamment par un élargissement des possibilités de recueil de certaines données auprès des opérateurs de communication électronique ou de cloud, dont l’analyse peut ensuite être partagée avec la communauté du renseignement. Le texte prévoit d’importants garde-fous, mais le débat qui a eu lieu en commission des lois sur ces articles très techniques a été agité.

 

En mars, la première ministre, Elisabeth Borne, avait indiqué qu’elle ne souhaitait plus recourir à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de faire adopter des textes sans vote, sauf éventuellement pour les textes budgétaires. Dans un monde idéal, l’exécutif aimerait aussi que la loi soit votée avant le 14 juillet.

Elise Vincent

 


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