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Nucléaire : ce que contient le projet de loi d’accélération de la construction de réacteurs adopté par le Parlement

Officiellement adopté mardi par l’Assemblée nationale, le texte doit permettre de lancer dès 2024 les travaux préparatoires sur le site de la centrale de Penly, à Petit-Caux, en Seine-Maritime.

Par Perrine Mouterde et Adrien Pécout

 

 La centrale nucléaire de Penly, à Petit-Caux (Seine-Maritime), le 9 décembre 2022. Le site devrait accueillir deux nouveaux réacteurs, au mieux en 2035.

La centrale nucléaire de Penly, à Petit-Caux (Seine-Maritime), le 9 décembre 2022. Le site devrait accueillir deux nouveaux réacteurs, au mieux en 2035. BENOIT TESSIER/REUTERS

 

Trois mois après le projet de loi destiné aux énergies renouvelables, place à celui visant à accélérer les procédures en vue de la construction de réacteurs nucléaires.

 

Ce deuxième texte porté par le gouvernement a, à son tour, été adopté lors d’un ultime vote à l’Assemblée nationale, mardi 16 mai. Il a recueilli une large majorité grâce à une coalition de voix du camp présidentiel, du parti Les Républicains, du Rassemblement national et de communistes. Cent députés des groupes écologiste et La France insoumise ont voté contre. Le Parti socialiste, qui s’était opposé en première lecture, s’est cette fois abstenu.

 

« Voter définitivement ce texte, c’est permettre à notre pays de réaliser une grande avancée écologique en mobilisant tous les leviers de décarbonation pour lutter contre le dérèglement climatique », s’était félicitée la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runnacher, lors du vote au Sénat, le 9 mai. Tour d’horizon des principaux points.

 

Une accélération des procédures

Ce nouveau projet de loi, qui attend sa promulgation, a une raison d’être : gagner du temps avant même la pose du premier béton de futurs réacteurs nucléaires – le gouvernement en voudrait au moins six, voire huit autres par la suite, alors que le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche) est toujours en cours.

 

Il s’agit à présent de simplifier les procédures administratives et documents d’urbanisme, de telle sorte que les travaux préparatoires (terrassement, clôtures, parkings) aux chantiers puissent débuter au plus vite. Autrement dit, sans avoir à attendre le décret d’autorisation de création, conditionné à l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

 

Le gain de temps potentiel n’est pas spécifié dans le texte, mais, selon le ministère de la transition énergétique, il pourrait permettre une accélération d’au moins deux ans pour les chantiers de futurs EPR 2. Le maître d’ouvrage, EDF, espère ainsi attaquer les travaux préparatoires dès juin 2024 au lieu de 2026 sur le site de Penly (Seine-Maritime). La première paire de nouveaux réacteurs est censée entrer en service à l’horizon 2035, selon le scénario le plus optimiste du gouvernement.

 

Dispense d’un permis de construire supplémentaire, dérogation à la loi littoral, mesures d’expropriation… Toutes les nouvelles dispositions seront valables durant vingt ans, pour tous les projets de construction situés à proximité de centrales nucléaires existantes. Y compris pour d’éventuels petits réacteurs modulaires.

 

Une raison d’intérêt public majeur

La France vise, à terme, l’objectif de « zéro artificialisation nette ». Mais, après débat au Sénat, les nouveaux réacteurs n’entreront pas dans le décompte imposé aux collectivités locales pour protéger les sols. Ils seront plutôt comptabilisés au niveau national, sous réserve d’une autre loi, attendue avant le 1er janvier 2024.

Par ailleurs, à l’instar de certains projets autour des énergies renouvelables, le texte octroie désormais à tout réacteur la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur. Le cas échéant, les délais de contentieux seront en outre raccourcis, les litiges passant directement par le Conseil d’Etat.

 

Le nucléaire dans le « mix » électrique

D’abord très technique, le texte a aussi pris une forte dimension programmatique, ce qui a d’ailleurs donné lieu à de vifs débats au cours de son examen.

 

Devançant la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), qui ne sera débattue qu’à partir du second semestre, la droite sénatoriale a introduit des amendements visant à lever des limites à la part du nucléaire dans le futur mix électrique. Deux marqueurs forts datant de 2015 disparaissent : l’objectif de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % (d’abord à l’horizon 2025, puis 2035), ainsi que le plafond de 63,2 gigawatts de capacité nucléaire installée.

 

Avant la présentation du projet de LPEC, le gouvernement devra rendre un rapport permettant d’« évaluer les conséquences » de la construction, non pas de six mais bien de quatorze nouveaux réacteurs, sur la filière nucléaire française, les besoins en formation, la sûreté et la sécurité, le cycle du combustible et l’approvisionnement en uranium ou encore la gestion des déchets ou les options technologiques. Des élus d’opposition ont estimé, lors des débats, que cette évaluation aurait dû être réalisée avant l’adoption d’un texte permettant d’accélérer la construction de ces nouveaux réacteurs. Au total, ce texte de loi commande pas moins d’une dizaine de rapports au gouvernement sur divers sujets – prolongation des réacteurs au-delà de soixante ans, gestion de la ressource en eau...

 

Pas de fusion ASN-IRSN

Revers pour le gouvernement, le projet de démantèlement de l’Institut de recherche et de sûreté nucléaire (IRSN) et de son absorption par l’ASN ne figure pas dans la version finale du texte. L’exécutif avait introduit cette disposition à la surprise générale par le biais d’un simple amendement, après l’examen du projet de loi par le Sénat, suscitant un mouvement de grève inédit des salariés de l’IRSN et l’opposition de nombreux élus, de scientifiques et d’experts.

 

Le texte ne prévoit finalement que la remise d’un rapport pour recenser « les besoins prévisionnels humains et financiers » de l’ASN, de l’IRSN ainsi que du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

Le ministère de la transition énergétique n’a pas pour autant abandonné son ambition de mener à bien cette fusion. Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le sujet est attendu en juillet.

 

Durcissement des sanctions

Les militants antinucléaires sont prévenus. Après un ajout lors de son passage au Sénat, le texte double désormais les peines en cas d’intrusion dans une centrale nucléaire, pour les porter à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende. De surcroît, il confère à la justice la possibilité d’ôter des aides publiques destinées aux associations dont les membres se rendraient coupables d’une telle infraction. Un durcissement des sanctions disproportionné, critique une partie de l’opposition, principalement à gauche.

 

Perrine Mouterde et Adrien Pécout

 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/05/16/nucleaire-ce-que-contient-le-projet-de-loi-d-acceleration-de-la-construction-de-nouveaux-reacteurs_6173610_3234.html