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Une pétition déposée à l’Assemblée réclame de dépénaliser la consommation de drogues

Face à « l’inefficacité » de la politique antidrogue française et à son coût sanitaire, une quinzaine d’associations ont déposé, sur la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale, une proposition de loi « visant à supprimer les sanctions pénales » contre les simples usagers.

Camille Polloni

26 juin 2023 à 11h15

 

ÀÀ l’occasion de la journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues, ce lundi 26 juin, le Collectif pour une nouvelle politique des drogues (CNPD), qui réunit une quinzaine d’associations spécialisées en santé publique, réduction des risques et libertés publiques (voir la Boîte noire), a rédigé une proposition de loi « visant à supprimer les sanctions pénales liées à l’usage de stupéfiants »

Ce texte, qui constate « l’inefficacité du dispositif répressif à enrayer la consommation de drogues dans notre pays », épingle aussi « un gaspillage phénoménal des fonds publics » : en 2023, 1,72 milliard d’euros seraient « dédiés à la répression uniquement »

Si les associations plaident pour la dépénalisation du simple usage, « au profit d’une politique de santé » ambitieuse, elles restent favorables à ce que le trafic et les comportements mettant en danger autrui, comme la conduite sous stupéfiants, restent punis par la loi.

 

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Arrestation d’un consommateur de crack à Paris en 2021. © Photo Robin Tutenges / Hans Lucas via AFP

Lors d’une présentation du texte à la presse, Fabrice Pilorgé, directeur du plaidoyer chez AIDES, revendique « une vision guidée par le pragmatisme, la science et l’expérience des acteurs de terrain », plutôt que par la « morale »

« Ces sanctions représentent une entrave dans l’accès aux soins et la réduction des risques, rappelle Marie Öngün-Rombaldi, de la Fédération Addiction. Quand on risque des sanctions, on a peur, on ne va pas consulter d’addictologue, on appelle moins les secours en cas d’overdose, on ne va pas chercher de matériel stérile. La drogue n’est pas interdite parce qu’elle est dangereuse, mais dangereuse parce qu’elle est interdite. » 

Pour Jean-Maxence Granier, président de l’Asud (Auto-support et réduction des risques parmi les usagers et ex-usagers de drogues), une telle réforme permettrait de « déstigmatiser les usagers de drogues illicites, des cas les plus sévères aux plus insérés, et les sortirait d’une forme d’aliénation civique mise en place par la loi de 1970 ».  

Plutôt que d’appeler des parlementaires à s’emparer de sa proposition de loi, le CNPD a préféré la soumettre à la signature des citoyens et citoyennes, en la déposant sur la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale. Il espère ainsi que le texte sera inscrit à l’ordre du jour, s’il dépasse les cent mille signatures. La pétition réclamant la dissolution de la Brav-M, classée par la commission des lois malgré 264 000 signatures, a toutefois montré que le débat souhaité n’a pas toujours lieu. 

 

Une proposition à contre-courant 

« Notre texte est simple, clair, prêt à l’emploi. Il ne nécessite que le courage politique », avance Samra Lambert, secrétaire permanente du Syndicat de la magistrature, dressant un « constat d’échec » des politiques menées par les gouvernements successifs : « Malgré la hausse du nombre d’interpellations et de condamnations, la consommation et le trafic ne diminuent pas. » 

L’initiative associative, qui invite à « dégager du temps à la police et la justice pour d’autres missions bien plus importantes », prend le contrepied de la politique antidrogue française, dirigée en priorité contre les usagers et usagères. D’après les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), « les interpellations au titre de l’usage ont augmenté deux fois plus vite que les procédures pour trafic » entre 1970 et 2020. 

 

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« Le premier responsable, c’est le consommateur », a coutume de répéter le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, tandis que le garde des Sceaux appelle « ceux qui consomment le petit pétard le samedi soir » à s’interroger sur leur responsabilité dans les règlements de comptes entre trafiquants. 

Chaque année, en France, environ trente mille personnes sont condamnées pour « usage de stupéfiants ». En théorie, la consommation de n’importe quelle substance interdite est passible d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende. Dans les faits, la sanction est le plus souvent – et de plus en plus souvent – une amende (71 % des peines principales en 2021). 

« Contrairement à des croyances populaires bien ancrées, la France n’a connu ces trente dernières années aucune dépénalisation “de fait” », écrivent les chercheuses Virginie Gautron et Ivana Obradovic dans l’ouvrage Réprimer et soigner, pratiques et enjeux d’une articulation complexe (PUR, 2023). Au contraire, les autrices observent « une systématisation et un renforcement de la répression, surtout depuis le développement des procédures simplifiées de jugement, et désormais de l’amende forfaitaire délictuelle, qui escamotent toute ambition pédagogique, préventive et sanitaire au profit de peines pécuniaires »

 

Une politique antidrogue inégalitaire et discriminatoire 

La France a beau interpeller en moyenne un consommateur ou une consommatrice de cannabis toutes les quatre minutes, elle est aussi le pays d’Europe où l’on dénombre le plus de consommateurs

Si la loi prévoit les mêmes sanctions contre toutes les drogues, la dépendance de la justice aux biais de l’action policière, concentrée sur les consommations visibles dans l’espace public, entraîne une répression profondément inégalitaire selon les produits et le profil des usagers et usagères. Les données de l’OFDT montrent notamment que « les jeunes de moins de 25 ans, les personnes nées à l’étranger ou les personnes en situation de chômage » sont surreprésentés parmi les interpellés et les condamnés.  

Depuis 2020, les forces de l’ordre peuvent sanctionner l’usage de stupéfiants dans la rue, sans intervention préalable d’un juge, via une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de 200 euros. D’après les chiffres du ministère de l’intérieur, 97 % des AFD prononcées concernent les consommateurs de cannabis. 

Fin mai, la Défenseure des droits a demandé l’abolition de l’amende forfaitaire délictuelle – pour toutes les infractions auxquelles elle est applicable –, estimant que cette procédure « porte une atteinte grave au droit au recours de la personne poursuivie », « restreint l’accès au service public de la justice », « fragilise la relation police-population » et « comporte le risque de développer des pratiques discriminatoires »

Loin de suivre son avis, le président de la République a annoncé dimanche 25 juin que les amendes forfaitaires pour usage de stupéfiants (jusqu'ici envoyées par courrier) seraient bientôt payables sur le champ et directement auprès de l'agent, par carte bleue ou en liquide. Emmanuel Macron entend ainsi améliorer le taux de recouvrement de ces amendes, aujourd'hui réglées dans 35% des cas seulement. 

De son côté, le président du parti Les Républicains Éric Ciotti propose de passer l’amende forfaitaire de 200 à 1 000 euros – malgré le risque d’inconstitutionnalité d’un montant si élevé – et de mettre en ligne le nom de tous les usagers « arrêtés en possession de stupéfiants »