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Face aux émeutes, la justice a dû s’adapter dans l’urgence pour répondre à l’afflux des dossiers à traiter

Selon la Chancellerie, il y a déjà eu 380 incarcérations à la suite des affrontements de ces derniers jours. Les tribunaux ont multiplié les comparutions immédiates, y compris pendant le week-end.

Par Abel Mestre

Publié le 04/04/2023 à 20h49, modifié à 21h10

 

 Le garde des sceaux, ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, quitte Matignon après le comité interministériel des villes, le 30 juin 2023 .

Le garde des sceaux, ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, quitte Matignon après le comité interministériel des villes, le 30 juin 2023 . JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

 

L’équation à résoudre est des plus complexes. Comment rendre la justice normalement dans une situation anormale ? Après la mort de Nahel M., 17 ans, lors d’un contrôle policier à Nanterre le 27 juin, des émeutes très violentes ont éclaté pendant cinq jours, sur l’ensemble du territoire. Face à cette situation inédite, Eric Dupond-Moretti, ministre de la justice, a publié une circulaire vendredi 30 juin demandant une réponse pénale « ferme, rapide et systématique ». Il semble avoir été entendu : ce mardi soir, la Chancellerie avançait le nombre de « 380 incarcérations » à la suite des émeutes. Au-delà de cette dimension, M. Dupond-Moretti attendait aussi des juridictions une organisation optimale pour faire face à un surcroît d’activité jamais vu depuis plusieurs années, notamment une bonne articulation de l’action avec les préfectures.

Sans attendre les consignes de leur ministre, les magistrats ont pris les choses en main pour absorber la surcharge de travail. La cour d’appel de Versailles était la première concernée. C’est dans son ressort que la mort de Nahel M. est survenue. Les affrontements ont été quasi immédiats et très violents. Le tribunal d’Asnières a notamment été incendié. Il a fallu relocaliser les activités en urgence à Colombes. Ce qui fut fait en très peu de temps. « Les juridictions ont fait face, elles se sont mobilisées dès le premier jour. Nous avons mis en place plusieurs niveaux d’opérations : le transfert du tribunal de proximité d’Asnières à Colombes, la mise en place d’une cellule d’aide psychologique, mais aussi le renforcement de la sécurité des bâtiments dans les Hauts-de-Seine, détaille Jean-François Beynel, premier président près la cour d’appel de Versailles. On a aussi mis en place une cellule de crise pilotant les opérations qui servaient également à la collecte et à la remontée des informations. »

 

A quelques kilomètres de là, au tribunal de Créteil, on a aussi très vite pris la mesure de la situation. « Dès les premières heures, on a vu que c’était un phénomène grave, assure Stéphane Hardouin, procureur de Créteil. Tout le monde s’est très vite porté volontaire, on a mis en place un système de brigades. En une heure, treize magistrats, soit un tiers du parquet, répondaient présents. » Eric Mathais, procureur de Bobigny, évoque lui aussi une « très grande solidarité » du monde de la justice avec une scène quasiment identique : « Ce week-end, on a fait un appel à candidatures et on a presque doublé le nombre de magistrats mobilisés. » Marc Cimamonti, procureur général près la cour d’appel de Versailles, explique : « Il y a eu une priorisation du service pénal d’urgence et un renfort des plateaux de permanence du parquet. Le ressort est composé de trois grands parquets et d’un plus petit. Ils ont fait face avec leurs effectifs en se mobilisant fortement. » Résultat : aucune de ces juridictions n’a eu à faire appel à des renforts extérieurs, tout s’est passé par des mouvements internes et ponctuels.

 

« S’adapter de manière exceptionnelle »

Le président du tribunal judiciaire de Bobigny, Peimane Ghaleh-Marzban, résume les deux impératifs à remplir pour la justice : « La capacité à adapter le fonctionnement de la juridiction à la surcharge d’activité et s’adapter de manière exceptionnelle tout en assurant le fonctionnement normal de l’institution. » Autre défi : faire face à un nombre très important de procédures qui ne doivent pas être bâclées si l’on veut qu’elles aboutissent. C’est là que le parquet joue un rôle de filtre. « J’ai donné des instructions très claires allant dans le sens d’une ligne de fermeté mais il faut aussi toujours rappeler qu’il faut contrôler la régularité des procédures et voir si les charges sont suffisantes », explique encore M. Hardouin. Un souci partagé par ses homologues de la cour d’appel de Versailles et du tribunal de Bobigny.

Ainsi, fait rarissime, des audiences en comparution immédiates ont eu lieu ce week-end dans certains tribunaux comme à Nanterre ou Bobigny. Dans d’autres, c’est le cas de Créteil, trois juges de la liberté et de la détention (JLD) ont siégé – dont le président du tribunal Eric Bienko Vel Bienek – pour décider de la mise en détention ou le placement sous contrôle judiciaire des personnes déferrées, dans l’attente de leur jugement en comparution immédiate à partir du 3 juillet. Dans le Val-de-Marne, ces audiences sont d’ailleurs doublées. La réponse judiciaire par la voie des comparutions immédiates ne satisfait pas l’ensemble du monde judiciaire, à commencer par les avocats des prévenus qui, souvent, dénoncent une forme de justice expéditive et d’une particulière sévérité.

 

La priorisation des dossiers

Pour les traiter le plus rapidement possible, les différents tribunaux ont dû « prioriser » les dossiers. M. Beynel confirme : « On a décalé le boulot du quotidien. A titre d’exemple, à Nanterre, on a mobilisé pour le week-end neuf magistrats du siège, neuf du parquet et neuf fonctionnaires. On a réorienté les audiences pour nous concentrer sur les comparutions immédiates concernant les violences urbaines. »

 

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Finalement, lundi 3 juillet, c’est surtout la grève très suivie des greffiers – ils demandent notamment une meilleure rémunération et de meilleures conditions de travail – qui a le plus perturbé le déroulement des comparutions immédiates. Là aussi, il a fallu s’adapter, mobiliser du personnel disponible comme les directeurs de greffes, pour assurer l’urgence. Tous les magistrats contactés tiennent cependant à insister sur la mobilisation « remarquable » des greffiers dans les jours précédents qui furent des moments d’intense activité judiciaire.

 

Ces jours de violences ont, en tout cas, été une sorte de test grandeur nature à un an des Jeux olympiques qui auront lieu à Paris à l’été 2024. Et les résultats, à en croire les magistrats, sont plutôt rassurants : « On se dit que cela va nous aider dans la façon de nous organiser, espère Eric Mathais. Par exemple quelle configuration adopter en cas de surcroît d’activité non prévu, comment organiser des audiences le week-end, comment renforcer les plateaux de permanence… » Stéphane Hardouin résume : « La clé de la réussite, c’est d’être capables de s’organiser en quelques heures. »

Marc Cimamonti estime quant à lui qu’« un bilan est nécessaire pour nous permettre de tirer tous les enseignements et affiner les dispositifs de crise spécialement dans le cadre de la préparation des JO 2024 ». Il conclut : « Il faut montrer que la justice peut continuer à avoir lieu normalement, même dans des circonstances exceptionnelles. »

 

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Abel Mestre

 


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