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Nahel : l’armée ouvre une enquête sur la milice de Lorient

Selon nos informations, une enquête de commandement a été ouverte par le ministère des armées après la participation de militaires à un groupe ayant interpellé des émeutiers à Lorient, dans la nuit de vendredi à samedi.

Matthieu Suc et Marine Turchi

4 juillet 2023 à 17h28

 

Selon nos informations, une enquête de commandement a été ouverte par le ministère des armées, après la participation de militaires aux actions du groupe ayant procédé à des interpellations d’émeutiers, dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, à Lorient (Morbihan).

Ces derniers jours, les forums de discussion militaires et paramilitaires sur les réseaux sociaux évoquaient les événements. Lundi 3 juillet au soir, un certain « Coyote », affichant le logo des fusiliers marins augmenté d’un coyote en tenue militaire et armé, avait publié un message d’alerte : « À tous, urgent. Il semblerait que la DRM [Direction du renseignement militaire, c’est-à-dire le service de renseignement des armées – ndlr] se soit saisie de l’affaire de l’autre soir à Lorient pendant les émeutes. J’invite chacun d’entre vous qui ont des informations sur l’événement et qui en ont parlé à leurs potes de supprimer tout ça et ceux y ayant participé de serrer les fesses. »

L’information de l’ouverture d’une enquête administrative été confirmée à Mediapart par le ministère des armées.

 

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Dans la soirée du 30 juin 2023 à Lorient. © Photo DR

Ce week-end, pourtant, le maire de Lorient, la directrice départementale adjointe de la sécurité publique du Morbihan et la Force maritime des fusiliers marins et commandos (Forfusco) avaient démenti toute présence de « milice » et toute participation de militaires.

Dimanche, Fabrice Loher, maire (UDI) de Lorient, avait posté sur sa page Facebook un commentaire courroucé : « Je réponds à une rumeur : non, aucune “milice” n’est à l’œuvre aux côtés ou à la place de la police ! »

Le lendemain, la directrice départementale adjointe de la sécurité publique du Morbihan, Géraldine Papassian, s’était montrée encore plus péremptoire, assurant au quotidien Ouest-France « qu’aucune personne arrêtée et/ou entravée n’a été livrée à des policiers ». Puis ajoutant : « Les quatre interpellations ce soir-là ont été effectuées par nos agents. Et aucun n’a échangé avec ce prétendu groupe. »

Au sein d’une ville connue pour abriter 4 000 militaires de la marine nationale, l’hypothèse d’une participation, au sein de la milice, de fusiliers marins ou de commandos marine, des anciens ou d’active, s’était répandue comme une traînée de poudre ces derniers jours. Surtout au vu de la coordination dont faisaient preuve les miliciens.

Des photos et des vidéos (ici et ) ont montré que dans la nuit de vendredi 30 juin à samedi 1er juillet, des hommes masqués avaient couru aux côtés des policiers pour les aider à attraper des émeutiers. Quand ils n’avaient pas remis aux forces de l’ordre des jeunes, menottés par leurs soins à l’aide de colliers de serrage, qu’ils avaient interpellés eux-mêmes.

Lundi, un employé d’un magasin de bricolage assurait à Mediapart avoir vu un équipage de la brigade anticriminalité (BAC), dans une Skoda noire, « faire le lien entre la milice et le reste des effectifs de la police ».

Lundi soir, les démentis du maire de Lorient et de la responsable policière – qui n’ont pas répondu à nos sollicitations – ont été encore plus spectaculairement contredits par des éléments recueillis par Ouest-France.

Le quotidien régional a publié le témoignage d’un des anticasseurs qui affirme : « Certains policiers nous ont remerciés et ont accepté notre aide, d’autres préféraient nous mettre à distance. Je comprends que ça puisse créer un malaise. Comme le maire de Lorient qui a dit que notre présence n’était qu’une rumeur : n’importe quoi ! »

L’homme de 25 ans se présente comme un militaire ayant déjà à son actif plusieurs missions à l’étranger dans des zones de conflit. Il détaille avoir agi avec une trentaine d’autres « collègues » militaires, âgés « entre 20 et 25 ans », « mais aussi de quelques civils ». Il évoque « des fusiliers, peut-être des commandos. Il y avait différentes unités »

La Force maritime des fusiliers marins et commandos (Forfusco), qui avait assuré samedi à l’autre quotidien régional, Le Télégramme, qu’elle n’avait « pas eu vent de ce genre d’action au sein de nos jeunes ou moins jeunes » et avait invité à ne pas faire d’amalgame ou de raccourci, a finalement reconnu la participation de militaires. « Des citoyens civils et militaires qui se trouvaient sur les lieux des heurts se sont spontanément trouvés engagés. Ils ont permis de maîtriser des émeutiers avant de les remettre aux forces de l’ordre. Ils ont protégé des particuliers et des biens d’actions violentes attribuées à des groupes de casseurs », a-t-elle indiqué lundi soir à Ouest-France.

La Forfusco concède que « le maintien de l’ordre n’est pas dans le périmètre d’intervention des armées ni de [sa] Force ». Mais elle affirme que ceux qui, dans ses rangs, ont « participé à ce groupe », l’ont fait « à titre personnel sans que la hiérarchie n’en ait été informée au préalable ». « Aucune unité n’a été engagée de manière formelle comme informelle », a-t-elle insisté.

De son côté, le procureur de la République de Lorient, Stéphane Kellenberger, affirme ce mardi à Mediapart qu’« en l’état », le parquet « ne dispose d’aucun élément concret ou objectif qui irait dans un tel sens », à part les articles de presse que nous mentionnons, et qu’il n’a « été saisi d’aucun élément procédural à ce sujet ».

 

Une intervention musclée

Pourquoi ce silence gêné des autorités ?

L’article 73 du Code de procédure pénale prévoit les interpellations par de simples citoyens : « Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. »

Mais en l’état, plusieurs éléments interrogent. D’abord, le fait que les membres de ce groupe se soient dissimulés sous des cagoules et des cache-nez pour interpeller d’autres citoyens. Ensuite, le caractère musclé de leur intervention, qu’a reconnu le milicien interviewé par Ouest-France : « Ça aurait pu être moins violent. Quand certains allaient un peu fort, on leur disait de se calmer. »

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Enfin, une réalité statistique peut s’avérer gênante pour les garants du maintien de l’ordre. Dans la nuit de vendredi à samedi, les émeutes à Lorient ont donné lieu à quatre interpellations, comme l’a confirmé à Mediapart le procureur de la République. Or, Ouest-France compte, d’après le témoignage du milicien, quatre personnes livrées par les anticasseurs à la police. Lundi, un salarié d’un magasin de bricolage racontait à Mediapart avoir assisté à « au moins » trois interpellations sauvages.

Faut-il en déduire que les seuls à être parvenus à appréhender des émeutiers à Lorient vendredi soir étaient des miliciens ? 

Dans Ouest-France, le jeune homme interviewé assume en tout cas son action : « Finalement, qu’importe qu’on soit “mili”, pharmacien ou vendeur de vélos, l’essentiel, c’est ce qu’on a fait », explique-t-il. Avant de conclure : « On est fiers de ce qu’on a fait et on recommencera si le besoin se présente. Quand tu veux tout brûler, tu dois t’attendre à des réponses. »