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Économies et recul de l’assurance-maladie : le gouvernement égrène les mesures amères

Pour la Sécurité sociale, les « temps exceptionnels » sont révolus. Le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale devrait comprendre au moins 1,3 milliard d’euros d’économies. Pour faire passer la pilule, amère, le gouvernement égrène les annonces.

Caroline Coq-Chodorge

6 juillet 2023 à 20h02

 

 

« Nous« Nous sortons de temps exceptionnels, nous devons revenir à la normale en matière de dépenses publiques », a annoncé le ministre de l’économie Bruno Le Maire, lors des Assises des finances publiques, le 19 juin dernier. Signe que Bercy prend désormais la main : le ministre a déroulé un programme d’économies, y compris pour la Sécurité sociale, en l’absence du ministre de la santé. C’est le « retour à l’anormal », annoncé par les défenseurs de l’hôpital public depuis la fin de la crise du Covid. 

 

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Logo de l'assurance-maladie. © Riccardo Milani / Hans Lucas via AFP


La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 annonçait d’ores et déjà la couleur : l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) ne doit progresser que de 2,3 % en 2024, c’est-à-dire trop peu pour faire face à la hausse naturelle des dépenses portées par le vieillissement de la population et un progrès technique de plus en plus coûteux.

Le rapport charges et produits de l’assurance-maladie, à paraître, que Mediapart s’est procuré, servira comme chaque année de document de travail en vue de l’élaboration du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Il détaille un plan d’économies de 1,3 milliard d’euros qui comprend des mesures de lutte contre la fraude, de meilleure prise en charge de certaines maladies et d’économies sur les prescriptions de médicaments et d’arrêts de travail. Pour tenter de les faire passer douceur, le gouvernement égrène les annonces les plus difficiles de manière dispersée.

 

Un recul historique de l’assurance-maladie sur les soins dentaires

Dans le système français, il y a une manière simple de faire des économies sur la Sécurité sociale : il suffit de transférer des dépenses vers les complémentaires santé. C’est le choix fait par le gouvernement, le 15 juin dernier. Le ministère de la santé l’a annoncé dans un communiqué, en forme de cascade de cinéma : tout en s’engageant pour une « action forte » pour la « prévention bucco-dentaire », il a glissé que la part du remboursement des soins dentaires par les complémentaires santé – ou à la charge du ou de la patiente si elle n’est pas assurée – allait augmenter de 30 à 40 %. Cela représente une économie de 500 millions d’euros pour l’assurance-maladie.

Les complémentaires santé ont immédiatement prévenu : cette décision « pèsera sur le niveau des cotisations de leurs assurés », pour qu’ils puissent faire face à ces dépenses nouvelles. « C’est difficile d’anticiper l’augmentation des cotisations, explique Séverine Salgado, directrice de la Mutualité française. Ce qu’on peut dire, c’est que 500 millions d’euros, cela représente une augmentation de 2 % des dépenses des complémentaires, auxquelles s’ajoutent la hausse naturelle des dépenses et celles négociées avec les professions de santé, comme la hausse de la consultation médicale. Or les cotisations augmentent déjà très vite : de + 4,7 % pour les mutuelles en 2022. Nous ne nous réjouissons pas, comme les assureurs. Nous craignons que nos assurés ne puissent plus faire face, en particulier les plus âgés, qui paient le plus cher. »

C’est la première fois qu’un gouvernement assume ainsi un recul net de l’assurance-maladie. « Et nous craignons que ce ne soit que le début. C’est en tout cas ce que l’on nous dit, officieusement, à Bercy », précise Séverine Salgado.

Tout est en place pour faire passer, de manière indolore, mais seulement en apparence, ce rôle croissant des complémentaires santé dans la prise en charge des soins.

Jusque-là, la participation des complémentaires santé restait stable : elles assurent, depuis une dizaine d’années, aux alentours de 13 % des dépenses de santé. L’assurance-maladie couvre de son côté près de 80 % des dépenses en 2021. La part restant à la charge des ménages est aux alentours de 7 %, en légère diminution.

Ce recul de l’assurance-maladie intervient après une série de réformes qui ont accru le rôle des complémentaires santé. En 2013, elles ont été rendues obligatoires pour les salarié·es. Pour les plus modestes, existe le dispositif de la complémentaire santé solidaire (l’ex-CMU-C), qui couvre 7 millions de personnes, même si presque autant, qui entrent pourtant dans les critères, n’ont pas recours à cette aide. In fine, plus de 95 % des Françaises et des Français sont couverts par une complémentaire santé.

En 2019, a également été mis en œuvre le « 100 % santé » : certaines lunettes, aides auditives et prothèses dentaires, aux prix plafonnés, sont désormais prises en charge, sans reste à charge, par l’assurance-maladie et les complémentaires.

Tout est en place pour faire passer, de manière indolore, mais seulement en apparence, le rôle croissant des complémentaires santé dans la prise en charge des soins.

Seulement, il y a une différence de taille entre l’assurance-maladie et les assurances privées et mutualistes. La première est un pilier de la solidarité nationale : chacun·e contribue – par les cotisations sociales ou l’impôt – selon ses moyens et reçoit selon ses moyens. Les complémentaires santé modulent au contraire leurs cotisations en fonction de l’âge des assuré·es, c’est-à-dire leur risque. Les personnes âgées paient donc beaucoup plus cher.

Elles évoluent également dans un secteur fortement concurrentiel et bien moins performant : seules 80 % des cotisations sont reversées aux assuré·es, les 20 % restants étant dilapidés en frais de gestion. Le fonctionnement de ces complémentaires santé coûte aujourd’hui beaucoup plus cher aux Français et Françaises (7,6 milliards d’euros) que l’ensemble de la Sécurité sociale (6,9 milliards d’euros).

 

Des contrôles et des sanctions pour faire baisser les indemnités journalières

Bruno Le Maire veut « responsabiliser les acteurs en matière de dépenses de soins ». Et la première dépense sur laquelle il veut obtenir des économies, vite, ce sont les indemnités journalières (IJ) versées par l’assurance-maladie en cas d’arrêt maladie, d’accident du travail ou de maladie professionnelle. « Il y avait 8,8 millions d’arrêts en 2022, 6,4 millions dix ans plus tôt », a-t-il expliqué. Cela représenterait « 16 milliards d’euros de dépenses supplémentaires », selon le ministre.

Le choix de l’année 2022 est assez malhonnête de la part du ministre : en effet, l’an dernier, les arrêts maladie ont explosé avec l’épidémie de Covid, que les personnes soient malades ou simplement positives, pour freiner l’épidémie. Depuis la fin de l’année 2022, l’effet Covid a presque disparu et les IJ progressent, hors Covid, de + 6,9 % pour maladie et de + 5,4 % pour les accidents du travail et les maladies professionnelles.

C’est trop pour Bercy et l’assurance-maladie, qui a d’ores et déjà lancé une campagne de « contrôle de la justification de l’arrêt, tant auprès des assurés que des [médecins] prescripteurs atypiques » qui prescrivent un nombre d’arrêts de travail supérieur à une moyenne régionale. En 2023, l’assurance-maladie prévoit de contrôler mille médecins généralistes.

Avec le report de l’âge de la retraite, les politiques devaient prévoir qu’il y aurait plus d’arrêts maladie. Il fallait anticiper !

Agnès Giannotti, présidente de MG France

Agnès Giannotti, présidente du syndicat de médecins généralistes MG France, détaille le fonctionnement de ces contrôles, « très mal vécus » par les médecins, explique-t-elle : « Ces médecins sont mis sous objectifs : ils ont six mois pour baisser le nombre de leurs arrêts, sur des critères uniquement économiques, et non médicaux. S’ils n’atteignent pas leurs objectifs, ils risquent une amende, jusqu’à 9 000 euros. »

La docteure Giannotti rappelle qu’ « il y a des raisons à la hausse des arrêts. La souffrance psychique, surtout au travail, a beaucoup augmenté. Avec le Covid, on assiste à des dérives dans le management en entreprise. Les gens viennent souvent nous voir quand ils n’en peuvent plus. On voit aussi exploser les troubles musculo-squelettiques, par exemple chez les professionnels de santé, donc surtout chez les femmes. Et les gens travaillent plus longtemps. Tout cela multiplie les arrêts longs, qui coûtent le plus cher. Avec le report de l’âge de la retraite, les politiques devaient prévoir qu’il y aurait plus d’arrêts maladie. Il fallait anticiper ! »

L’analyse d’Agnès Giannotti est confortée par le rapport charges et produits de l’assurance-maladie. L’essentiel de la hausse des IJ est porté par le vieillissement de la population active : le taux d’activité des 55-64 ans a bondi de 43 % à 60 % entre 2010 et 2022. Les arrêts sont aussi de plus en plus longs, et les temps partiels thérapeutiques, accordés aux personnes à la suite d’une longue maladie ou d’un accident, en forte augmentation. Ce sont donc les personnes âgées et malades qui font progresser ces dépenses.

 

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L’assurance-maladie n’est pas à une contradiction près : si elle assure vouloir multiplier les contrôles, elle engage en parallèle un nouveau plan de suppressions de 1 800 postes, après en avoir perdu 10 000 en dix ans. « Elle compte sur la numérisation et l’automatisation du traitement des dossiers, explique Christophe Prudhomme, représentant de la CGT au Conseil de la Caisse nationale d’assurance-maladie. La CGT a voté contre, car les conséquences pour les assurés sont déjà là : il n’y plus d’accueil physique pour les dossiers complexes. Et certaines missions ne sont plus assurées correctement, comme le paiement des IJ, qui intervient parfois plusieurs mois après l’arrêt ! L’assurance-maladie est aussi impuissante face aux fraudes systématiques de certains opérateurs de santé : certains centres de santé low cost, certaines plateformes de téléconsultation, etc. »

 

Médicaments : haro sur les prescripteurs, pas sur les labos

C’est l’autre poste d’économies identifié par Bruno Le Maire lors des Assises des dépenses publiques : nos dépenses de médicaments sont parmi « les plus élevées de tous les pays développés », a-t-il expliqué. Là encore, il met en cause les médecins qui « prescrivent chacun en moyenne 730 000 euros par an de médicaments, 450 euros par patient ».

Il fait ainsi une impasse de taille sur la régulation du prix des médicaments par les pouvoirs publics, défaillante face à la toute-puissance de l’industrie, comme le détaille ce jeudi 6 juillet, une fois encore, un rapport du Sénat sur les pénuries de médicaments. « Ce qui coûte cher, ce sont les médicaments innovants, hors de prix, dont les malades ne peuvent se passer, explique Agnès Giannotti, présidente de MG France. On voit aussi flamber les prescriptions d’antibiotiques et de corticoïdes, via les plateformes de téléconsultation : comme les médecins ne voient pas les patients, ils se couvrent en prescrivant au maximum… »

L’analyse de l’assurance-maladie, dans son rapport charges et produits, est plus nuancée. Les dépenses de médicaments ont augmenté ces dernières années, de + 1,1 % par an entre 2017 et 2022, malgré des plans d’économies successifs. Certes, les nouveaux médicaments innovants, de rupture, à l’efficacité éprouvée, par exemple les immunothérapies contre les cancers, portent cette hausse. Mais l’assurance-maladie constate aussi « une très forte croissance » de nouveaux médicaments au service médical faible, qui relèvent plus du marketing : c’est le cas d’antidiabétiques, d’anticoagulants ou d’anticorps monoclonaux.

Dans cette litanie des mesures d’économies, il en manque une, agitée très souvent : l’aide médicale d’État (AME). Seule bonne nouvelle, le ministre de l’économie exclut de nouvelles mesures d’économies sur la santé des étrangers et étrangères : « Arrêtons de faire croire que le meilleur contrôle des dépenses de l’AME ou la lutte contre la fraude suffiront à équilibrer les comptes, c’est faux. »