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Les violences policières vues par les politiques : des années d’illégitime défense

La mort de Nahel, tué à bout portant par un policier, a fait l’objet de commentaires ignobles. Relativisme, contre-vérités, justifications... Depuis vingt ans, tout est utilisé par les pouvoirs successifs et une extrême droite galopante pour nier la réalité : celle d’une société qui tombe, en oubliant ses principes fondamentaux et les valeurs qui en découlent.

Ellen Salvi

28 juin 2023 à 19h08

 

La même rage et la même indignité. La mort de Nahel, 17 ans, tué à bout portant par un policier, mardi 27 juin, à Nanterre (Hauts-de-Seine), aurait dû mettre tout le monde d’accord. Pas de « oui mais », aucune justification, encore moins de relativisme. Dans un monde politique et médiatique un tant soit peu cortiqué, ce genre d’expressions publiques devraient être considérées pour ce qu’elles sont : des déchets de la pensée humaine.

Pourtant, près de vingt ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, rien n’a changé. La situation a même empiré, sous l’effet d’une extrême droite toujours plus puissante, régurgitant ses idées et ses mensonges sur tous les plateaux de télévision où elle a table ouverte. Dans son sillage apparaissent aujourd’hui les visages impassibles de responsables politiques qui n’en portent que le nom. Des élu·es sans autre boussole que le déni. Et qui ont perdu l’essentiel en chemin.

Les fois précédentes, ils s’appelaient Jean-Michel Fauvergue, Laurent Saint-Martin ou encore Gilles Le Gendre. Ils auraient très bien pu s’appeler Pierre Dupont, Jacques Boudou ou Nicolas Martin, le résultat aurait été le même : depuis plus de cinq ans, les micros se tendent vers des personnalités promises à l’oubli, qui contestent jusqu’à l’absurde l’existence des violences policières et trahissent des concepts – en l’occurrence ceux de Max Weber – qui leur échappent.

 

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Emmanuel Macron et François Hollande à l’Élysée, le 25 février 2022. © Photo Carine Schmitt / Hans Lucas via AFP

Au lendemain du drame de Nanterre, c’est la députée Renaissance Caroline Abadie, vice-présidente de la commission des lois à l’Assemblée nationale, qui s’est lancée dans une argumentation indécente en affirmant sur LCP : « C’est quand même la police qui détient le droit de l’usage de la force. On est dans un État de droit, il faut rappeler les fondamentaux, quand il y a un barrage de police, on s’arrête, point barre. » « Il faut aussi rappeler ces principes basiques », a-t-elle ajouté.

Un policier vient de tuer un jeune homme de 17 ans. « Son intention de donner la mort ne fait aucun doute puisqu’il résulte de la bande-son de la vidéo qu’il annonce avant son tir : “Je vais te mettre une balle dans la tête” », selon Me Yassine Bouzrou, l’avocat de la victime. Le fonctionnaire a été immédiatement placé en garde à vue pour « homicide volontaire ». Puisqu’il est question de « principes basiques », parlons-en.

La police est au service des citoyens et d’eux seuls, de leurs droits et de leurs libertés ; sa mission première est d’être une gardienne de la paix au bénéfice de toute la population. Elle est soumise à la République, à ses lois fondamentales et aux valeurs qu’elles énoncent. Or, depuis quelques années, les pouvoirs successifs ont choisi, par lâcheté et fébrilité, de se placer « derrière » les policiers, plutôt que de se mettre devant eux, pour les conduire et les commander.

 

Les effets tristement concrets de la dérive sécuritaire

Dès 2016, Bernard Cazeneuve – l’homme qui s’imagine en sauveur de la gauche – avait impulsé sous le quinquennat de François Hollande – l’autre homme qui s’imagine en sauveur de la gauche – un projet de loi permettant un usage facilité des armes à feu pour les forces de l’ordre. Cette politique a eu des effets tristement concrets puisque depuis l’entrée en vigueur de cette réforme, en février 2017, les tirs policiers mortels n’ont cessé d’augmenter.

À l’époque, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’était alarmé du texte, l’ancien président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Michel Tubiana, avait dénoncé un « permis de tuer », et un député socialiste frondeur, Pouria Amirshahi, avait déposé une motion de rejet préalable. En vain. Les voix raisonnables étaient déjà inaudibles dans un débat public saturé par le sarkozysme et ses dérives sécuritaires.

Il faut se souvenir de ce contexte pour comprendre à quel point il est insupportable, six ans plus tard, de voir François Hollande « adresser à la maman de Nahel et à toute sa famille [ses] pensées les plus affligées » sur Twitter. Il faut aussi se rappeler les propos tenus par Emmanuel Macron – « Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit » – et ceux de Gérald Darmanin – « Quand j’entends le mot violences policières, je m’étouffe ».

 

Des mots, mais aucun actes

Le président de la République et le ministre de l’intérieur ont sensiblement changé de ton depuis vingt-quatre heures. Réaffirmant dans un premier temps le droit à la présomption d’innocence, Gérald Darmanin a été contraint de reconnaître, mercredi, en séance de questions au gouvernement au Sénat, que les actes commis la veille à Nanterre « n’ont pas été conformes à la législation et à la déontologie à la formation de la police nationale ».

La Place Beauvau a aussi annoncé, par communiqué, « étudier les modalités » pour dissoudre le syndicat de police d’extrême droite France Police, qui avait publié un tweet – supprimé depuis – félicitant les policiers impliqués dans la mort de Nahel. Condamnant « fermement ces propos contraires à nos valeurs républicaines », le ministère de l’intérieur a effectué un signalement Pharos et saisi le procureur de la République de Paris.

Depuis Marseille (Bouches-du-Rhône), Emmanuel Macron a quant à lui parlé d’un drame « inexplicable, inexcusable » et demandé du « calme pour que la justice se fasse ». La première ministre Élisabeth Borne a également évoqué une intervention « qui ne semble manifestement pas conforme aux règles d’engagement ». Face aux images de la scène et aux premiers éléments de l’enquête, difficile de tenir un autre discours. Mais les mots ne suffisent plus.

Car depuis des années, rien n’a été fait pour lutter sérieusement contre les dérives des forces de l’ordre. Bien au contraire. Les syndicats policiers ont vu aboutir toutes leurs revendications ou presque. En mai 2021, Gérald Darmanin s’est même affiché à leurs côtés, lors d’une manifestation organisée sous les fenêtres de l’Assemblée. « Toutes les professions ont une génétique : celle de la police est l’impunité », résume Me Jean-Pierre Mignard, l’avocat des familles de Zyed Benna et Bouna Traoré.

 

Avec le temps, les responsables politiques ont renoncé à émettre la moindre critique. Ils ont intégré qu’un simple froncement de sourcils pouvait susciter la colère des syndicats de police. Mercredi, Alliance, qui a apporté son soutien aux « collègues blessés durant cette dernière nuit », sans un mot pour Nahel et sa famille, a d’ailleurs dénoncé les propos du chef de l’État et réclamé que « la présomption d’innocence soit respectée et non bafouée ».

Sous la pression de l’extrême droite politique et médiatique, relayée par les droites, une partie de la gauche dite de gouvernement et la plupart des spécialistes du commentaire, les principes fondamentaux et les principes tout court ont peu à peu disparu de notre quotidien. Ils ont été remplacés par les bouillies indigestes servies par la chroniqueuse de CNews Charlotte d’Ornellas ou l’eurodéputé Les Républicains (LR) Jean-François Bellamy.

Cette situation n’est pas seulement pathétique. Elle est aussi dangereuse. Car à force de renoncements et de coups de boutoir contre l’État de droit et les « principes basiques », pour reprendre l’expression de la députée Caroline Abadie, les pouvoirs successifs et leurs relais cathodiques ont installé une société où tout se vaut et où rien n’est grave. Même le pire.