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Télétravail : pourquoi certains salariés mentent à leur patron

Il y a ceux qui trichent sur leurs horaires pour tenter de concilier vie professionnelle et vie familiale et ceux qui, démotivés, en profitent pour faire autre chose. Mais il y a aussi des travailleurs à distance qui en font plus qu’ils ne devraient, et préfèrent le cacher. “Die Zeit” publie leurs témoignages.

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Die Zeit
Traduit de l’allemand
Réservé aux abonnés Publié le 17 juillet 2023 à 05h00 Lecture 8 min.
Télétravail : pourquoi certains salariés mentent à leur patron. Dessin de Martirena, Cuba.

 

En télétravail, certains salariés font du ménage au lieu de répondre à leurs courriels, d’autres regardent des séries ou gonflent allègrement le total de leurs heures supplémentaires. Il y a quelques semaines, Die Zeit Online a demandé à ses lectrices et lecteurs dans quelles circonstances ils mentaient à leurs collègues et à leurs supérieurs. Plus de 800 personnes ont répondu.

Eli*, 26 ans, informaticien dans le BTP

“Je travaille souvent de chez moi et je triche tous les jours de manière phénoménale sur mes heures de travail. Aujourd’hui, j’ai déjà fumé deux pétards, j’ai regardé quatre épisodes d’Avatar. Le maître des éléments, je viens de me commander une pizza, et pendant tout ce temps j’apparais comme présent sur le logiciel téléphonique. Quand quelqu’un appelle, je décroche immédiatement et je fais le boulot. Ça n’arrive pas souvent, alors je ne fais pas grand-chose. Ça fait très longtemps que j’ai perdu l’envie d’améliorer mon travail ou de participer à un nouveau projet. J’ai un très bon salaire et je travaille peut-être dix heures par semaine, alors qu’officiellement j’en fais quarante. Honnêtement, ça m’est égal. Si je me fais prendre un jour, ils n’auront qu’à me licencier.”

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“Quand [un employé] s’identifie fortement à son travail et crée un lien solide avec l’entreprise, il ne triche pas”, explique la psychologue Birgit Langebartels. C’est toutefois souvent plus difficile avec le télétravail. Les collègues ne voient pas vraiment ce que vous faites ni les efforts que vous consentez. “Bon nombre de télétravailleurs se sentent invisibles et non reconnus pour leur travail”, poursuit-elle. Le sentiment d’appartenir à une équipe s’estompe, et ils perdent le contact avec l’entreprise.

Max*, 24 ans, employé de vente à Munich

Les réunions en visio n’aboutissent à rien. Aucune décision. Du coup, je réduis la fenêtre à un quart de mon second écran, et sur l’écran principal je fais un jeu vidéo. C’est parfait quand on a un peu de temps et qu’on a envie de jouer avec des amis. Finalement, on s’amuse bien, et il n’y a absolument aucune conséquence. Ça va faire trois ans maintenant. Ça ne me pose aucun problème. Je suis payé au résultat, pas pour me torturer l’esprit. On gère tellement de gens insupportables, il faut bien compenser comme on peut. Ma loyauté va à mes amis, à ma famille et à mon salaire à la fin du mois, pas à l’entreprise.”

Quand un salarié se livre à d’autres activités sur ses heures de travail, c’est en partie parce qu’il a cru que le télétravail permettrait effectivement de concilier vie privée et vie professionnelle, explique Birgit Langebartels.

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“Au début de la pandémie, on a eu l’impression qu’avec le télétravail on allait enfin pouvoir tout gérer, explique-t-elle. La famille, le travail, les loisirs, les amis… Sauf qu’on a vite compris que ce n’était pas le cas et qu’on était complètement dépassé et exaspéré.” Pour certaines personnes, la solution consiste à resserrer le champ de leur attention. Que ce soit sur la famille, le ménage ou les loisirs.

Luisa*, 46 ans, chercheuse

“Je suis chercheuse et ça fait plus de dix ans que je travaille pour la mairie. Comme je venais d’un autre secteur, nous sommes convenus verbalement avec mon employeur que je commencerais à un échelon inférieur à mes qualifications et à mes activités. Après cette première phase, je devais rejoindre le bon échelon, mais j’attends toujours. Mes chefs me confient des tâches difficiles en échange d’un salaire moyen. Enfin, disons plutôt que je devrais accomplir ces tâches, mais qu’en réalité cela fait plusieurs mois que je ne les fais plus. Je n’ai pas d’autre choix que de démissionner : officiellement ou silencieusement.

“J’en fais de moins en moins et je me limite au strict minimum. Je suis physiquement présente, je réponds aux e-mails importants, je décroche le téléphone, je fais des petites choses. Mais l’essentiel de mon temps est investi ailleurs. En parallèle, je m’occupe de mon deuxième travail de maître de conférences, ou bien je travaille sur mon livre. Pourquoi je ne démissionne pas ? Parce que ça me réjouit de voir combien on gaspille l’argent des contribuables en détournant le regard et en s’abstenant de toute initiative.”

Gontro*, 40 ans, enseignant en Basse-Saxe

“Je travaille souvent beaucoup plus que ce que je devrais pour finir tout ce que je dois faire. Mon employeur ne doit pas le savoir. J’écris des e-mails à l’avance et je les envoie le lundi matin pour que ça ne se voie pas. Sur les devoirs, je ne note pas les vraies dates (par exemple, si je travaille le 24 décembre) pour camoufler toutes ces heures que je fais en plus.”

Un employé ne ment pas nécessairement parce qu’il travaille moins que ce qui est spécifié dans son contrat. Certains dissimulent le fait que leur travail leur prend beaucoup plus de temps qu’il ne le devrait. Ou que leur sens du devoir les oblige à faire régulièrement des heures supplémentaires ou à ne pas s’arrêter pendant le week-end. “Les gens gèrent différemment les exigences du travail hybride”, résume la psychologue. Ces personnes restent souvent connectées et travaillent tard le soir.

Falada*, 63 ans, collaboratrice dans la fonction publique

Je travaille plus que ce que je déclare et je déborde parfois des horaires officiels. Il n’est pas rare que je travaille tard dans la nuit. Alors, pour compenser, j’essaie de faire des pauses plus longues le lendemain. Je suis toujours plus concentrée le soir parce que personne ne me dérange. J’ai accumulé près de la moitié de mes heures supplémentaires – qui représentent actuellement près de deux années de travail – pendant la pandémie. Je n’aurais pas tenu pendant cette période si je n’avais pas eu mon propre rythme.

“À présent, nous ne saisissons plus nos heures sur un terminal fixe, au bureau, mais depuis nos ordinateurs. Pendant la pandémie, j’ai dû tricher, sinon mes heures après 20 heures n’auraient pas été comptabilisées. Je travaille dans la formation et je fais partie de la cellule de crise. Ces dernières années, nous avons dû mettre en place des mesures très rapidement, informer toutes les personnes inscrites, adapter nos formats et nos procédures administratives. Tout cela en plus de notre travail ‘normal’, qui évidemment ne s’est pas interrompu. Finalement, mon employeur a profité du fait que je n’ai pas toujours respecté les horaires, c’est pourquoi je n’ai pas mauvaise conscience.”

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Chercheuse en sciences sociales à la fondation Hans Böckler, Elke Ahlers souligne que la surcharge de travail dépend également du secteur d’activité. “Quand le travail est soumis à des délais, comme dans le cas de projets, les gens sont plus vite débordés et amenés à faire des heures supplémentaires”, explique-t-elle. C’est généralement dû à un manque de ressources et de temps. “Les employeurs devraient clairement expliquer quelle tâche doit être accomplie dans quel délai.”

Ingo*, 36 ans, développeur informatique

Je ne déclare pas plus de dix heures [par jour] et je continue à travailler en secret. Je travaille beaucoup plus que je ne le devrais. C’est pourquoi je ne me déconnecte pas du système pendant la pause déjeuner, qui dure parfois jusqu’à quarante-cinq minutes.”

Un conseil pour les employés qui font beaucoup d’heures supplémentaires : “Il faut toujours noter le nombre d’heures que l’on consacre à son travail, même s’il n’y a pas d’outil dédié à cela”, assure Elke Ahlers. La plupart des gens ne se rendent pas compte du nombre d’heures supplémentaires qu’ils font réellement.

Jenny*, 30 ans, fonctionnaire dans le secteur de la culture

“Quand je suis en télétravail, je réponds parfois à des appels personnels ou bien je vais sur Internet au lieu de travailler vraiment. De temps en temps, je fais une lessive ou un peu de ménage. Comme j’ai des problèmes de santé, je fais parfois une petite sieste. D’autres jours, je travaille plus longtemps que prévu, parfois même le samedi. J’ai souvent mauvaise conscience. En même temps, mon employeur n’est pas en mesure de fournir un bureau à chacun parce qu’on manque d’espace. Ça soulage un peu ma conscience.”

“Certaines personnes font preuve de créativité et parviennent à concilier vie professionnelle et vie privée”, explique Birgit Langebartels. Une méthode qui peut s’avérer productive. “Elles prennent parfois quelques heures de pause dans une journée pour vaquer à leurs occupations, mais travaillent ensuite jusque tard dans la nuit, ou bien le week-end.” Les cadres doivent avant tout faire confiance à leurs équipes et ne pas les surveiller excessivement. “Mais ils doivent les rencontrer régulièrement et mettre au clair ce qu’ils attendent de chacun et dans quels délais.”

Michael*, 37 ans, responsable d’équipe

“Quand les enfants se sont réveillés pendant la nuit ou que je ne suis pas en forme, je note sur l’agenda un rendez-vous d’organisation de 13 à 15 heures, je mets mon statut sur [l’application] Teams en ‘Ne pas déranger’ et je fais une sieste. Ma femme et moi avons eu trois enfants en l’espace de deux ans. Le plus âgé de tous nos enfants a 6 ans, et le plus jeune 2 ans. Mes enfants n’ont jamais été de grands dormeurs. Malgré l’épuisement, j’ai continué tant bien que mal à m’investir dans ma carrière, dans une petite entreprise. Ça a très bien fonctionné. Mais pendant la pandémie, la frontière entre vie professionnelle et vie privée est devenue ténue, et cela m’a épuisé psychologiquement. C’est ce qui m’a poussé à aller voir un psychologue chaque vendredi pendant une heure. Nos rendez-vous ont lieu juste avant ma pause déjeuner, pour que ça ne se voie pas.

“Et toutes les six semaines, je vais chez le coiffeur, alors je bloque un créneau sur le planning afin de ne pas avoir d’autre rendez-vous à ce moment-là. Au début, j’avais mauvaise conscience, mais aujourd’hui, je ne trouve pas ça mal, compte tenu de tout ce que j’ai à faire au travail et à la maison. Pour pouvoir parler de mes problèmes à mes collègues ou à mon employeur, il faudrait qu’ils se montrent bienveillants et qu’ils comprennent que j’ai besoin de dormir ou de voir un psychologue. Mais ni mes conditions de travail ni la culture d’entreprise ne me mettent assez en confiance.”

Dans le droit du travail [en Allemagne], la notion de “flexibilité du travail” n’existe pas. Par là, on entend généralement différentes formes de travail, qu’il s’agisse d’horaires flexibles avec des plages d’activité définies ou bien d’une relation de travail fondée sur la confiance. Mais l’expression sert aussi à désigner le travail à temps partiel, les horaires d’astreinte ou bien l’utilisation d’un compte épargne-temps. Les limites de la flexibilité sont donc laissées à l’appréciation de chacun. Une chose est sûre : le temps de travail défini dans le contrat de travail, souvent sous forme d’heures hebdomadaires, contraint l’employeur comme le salarié. Le trajet entre la maison et le lieu de travail ne compte pas. Pas plus que les tâches ménagères, la garde des enfants ou les discussions entre collègues. Si un employé s’y consacre sur son temps de travail, il ne respecte donc pas son contrat.

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Il peut toutefois définir avec l’entreprise des horaires pendant lesquels il n’est pas disponible. “On peut convenir de ne pas lire les e-mails envoyés après 19 heures et d’éteindre son téléphone professionnel”, explique Elke Ahlers.

Wanda*, 29 ans, cheffe de projet à Hambourg

“Quand je travaille à la maison, au lieu de passer mon temps sur mon téléphone ou à papoter avec mes collègues, je fais le ménage. Ça m’aide à maintenir un équilibre vie professionnelle-vie privée. Ce n’est pas malhonnête. La procrastination existe aussi au bureau, mais sous d’autres formes. Je fais quand même mon travail. Personne n’est efficace en permanence. Le télétravail évite juste de gaspiller son temps comme au bureau. Qu’il soit en présentiel ou à distance, un chef de projet effectue les mêmes tâches.”

Quand un employé ne fait pas son travail, il ne devrait pas percevoir la totalité de son salaire. C’est cependant très difficile à mettre en pratique, car l’employeur devrait démontrer précisément ce qui n’a pas été fait et, souvent, l’employé a déjà été payé. Mais il faut savoir que travailler moins que ce que l’on devrait constitue un “manquement à ses obligations contractuelles”, qui peut mener à un licenciement pour faute. Reste qu’on applique le principe de proportionnalité, et l’employeur peut d’abord formuler un avertissement. Si votre employeur ne vous donne pas assez de travail, il faut l’en informer au plus vite et mettre les choses au clair avec lui.

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* Tous les prénoms ont été changés.