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Affaire Hedi : l’un des policiers déjà inquiété dans une enquête sur le tabassage d’une jeune fille

L’un des quatre policiers mis en examen à Marseille pour des violences à l’encontre de Hedi est déjà apparu dans une information judiciaire relative au tabassage d’Angelina, en 2018. Cet agent, qui avait nié toute implication, n’a pas été poursuivi à l’issue d’investigations plombées par l’absence de vidéos exploitables et le mutisme de la hiérarchie. Mais l’enquête vient d’être rouverte.

Pascale Pascariello

31 juillet 2023 à 12h04

 

Leur anonymat a jusqu’ici été préservé et toute une profession le protège, plus que jamais. Mais l’identité de l’un des quatre policiers mis en examen dans l’affaire Hedi, jeune homme de 22 ans touché par un tir de LBD à Marseille, puis tabassé et « laissé pour mort »(selon ses termes), mérite pourtant d’être examinée.

D’après nos informations, David B. est l’une des figures centrales d’une précédente information judiciaire ouverte pour des faits de violences assez similaires, commis en décembre 2018 à Marseille. Une jeune fille de 19 ans, Angelina (plus connue sous le pseudonyme de Maria), avait été gravement blessée par un tir de LBD en marge des manifestations des « gilets jaunes », puis passée à tabac par plusieurs policiers, à ce jour non identifiés par la justice.

Dans l’affaire Hedi, David B. a pu être identifié, comme ses collègues de la BAC, grâce à l’exploitation d’enregistrements de caméras de vidéosurveillance de la ville, de celles d’un commerce et d’un lieu de culte, et de vidéos d’un témoin, d’après les informations recueillies par Mediapart.

 

Illustration 1Hedi a subi un traumatisme crânien grave lié à un tir de LBD, dans la nuit du 1er au 2 juillet 2023. © Nejma Brahim / Mediapart

 

Depuis le 20 juillet, il fait ainsi partie des quatre agents mis en examen pour « violences volontaires aggravées » (notamment parce qu’elles ont été commises en réunion, par des personnes dépositaires de l’autorité publique et avec armes). L’un d’eux, suspecté d’avoir tiré au LBD, a été incarcéré. Son placement en détention provisoire, qui doit être réexaminé jeudi 3 août devant la cour d’appel, a provoqué une fronde inédite au sein de la police nationale.

Laissé libre sous contrôle judiciaire, David B., lui, se voit reprocher d’avoir traîné Hedi au sol sur plusieurs mètres avec ses collègues, puis de l’avoir frappé, sans lui porter secours alors que le jeune homme, gravement blessé à la tête par le tir de LBD, perdait du sang.

 

D’après BFMTV, plusieurs des mis en cause ont d’abord nié leur participation aux violences. Reconnu notamment grâce à son T-shirt, le policier porteur du LBD a même réfuté qu’il s’agissait de lui sur les vidéos. Seuls deux policiers auraient fini, selon nos confrères, « par reconnaître des violences ».

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D’après des informations obtenues par Mediapart, la juge d’instruction saisie du dossier a par ailleurs ordonné, le 28 juillet, une expertise des vidéos, afin de préciser le rôle de chacun – outre les quatre mis en examen, deux autres agents étaient présents. Dans son ordonnance, on apprend en effet que les caméras de vidéosurveillance de la ville ont permis à l’IGPN d’identifier l’arrivée de « six individus » comme étant des « policiers en civil » vers 1 h 51, jusqu’à ce que le jeune homme quitte les lieux à 1 h 56, filmé par la caméra d’un lieu de culte.

La magistrate indépendante demande ainsi aux experts de travailler plusieurs scènes, notamment celle « au cours de laquelle Hedi […] se trouve au sol, entouré de plusieurs individus, en décrivant les coups qui lui sont portés et le nombre de personnes participant à cette scène en rappelant leur signe distinctif ». Dans une interview à Konbini, Hedi a décrit ainsi l’ampleur des dégâts physiques : « [Les médecins] ont été obligés de m’enlever une partie du crâne pour que ça respire. »

 

Pour Angelina, une enquête devenue un chemin de croix

La vie d’Angelina, elle, a basculé le 8 décembre 2018 alors qu’elle sortait de son travail et regagnait son domicile, en marge des mobilisations des « gilets jaunes ». La jeune fille de 19 ans a soudain été projetée à terre par un tir de LBD dans la jambe. Une fois au sol, des policiers l’ont tabassée. Grièvement blessée, la jeune fille a eu le crâne fracturé et le cerveau atteint. Souffrant de séquelles physiques et psychologiques, elle a depuis été reconnue travailleuse handicapée. Mediapart l’avait interrogée en longueur en juin dernier.

Mais l’enquête judiciaire s’est transformée en chemin de croix. La plainte d’Angelina a d’abord été refusée par plusieurs commissariats. Lorsque l’enquête préliminaire a enfin été ouverte, les enregistrements des caméras de vidéosurveillance de la ville avaient donc été écrasés, conformément aux délais d’usage. De même que les écoutes des échanges radio de la police (Acropol), qui sont, elles, conservées deux mois. 

Le problème est que d’autres preuves, qui auraient pu être exploitées par la justice, ont disparu : le précieux rapport informatique faisant état de l’ensemble des mouvements et des interventions des policiers la journée du 8 décembre a été tronqué entre 14 h 37 et 23 h 21. Plus un mot de disponible. Seules deux vidéos de témoins ont pu être versées au dossier, qui montrent des policiers vêtus de noirs, le visage masqué, certains affublés de casques non réglementaires.

Des comptes rendus d’opération du 8 décembre 2018 montrent que David B. était présent dans le périmètre où Maria s’est fait agresser, à la même heure.

Les enquêteurs vont partir de certains détails révélés par l’analyse des vidéos pour rechercher les auteurs. Un policier a une attelle à la main gauche, d’autres portent un modèle particulier de casques de skateurs. Les investigations se recentrent ainsi sur quatre fonctionnaires, appartenant à deux unités de police, le service interdépartemental de sécurisation des transports en commun (SISTC) et la compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI).

À l’époque, le commandant à la tête de la CSI de Marseille reconnaît, sur procès-verbal, que David B., en poste dans un des six groupes dits « civils » depuis 2016 et ancien de la BAC de Paris, était l’un des seuls, avec un de ses collègues, Emmanuel B., à être porteur de casques non réglementaires, type skate. Il ne l’implique pas pour autant. Un autre fonctionnaire, qui a depuis quitté la région, confirme les déclarations du commandant.

Par ailleurs, des comptes rendus d’opération du 8 décembre 2018 montrent que David B. était présent dans le périmètre où Maria s’est fait agresser, à la même heure. Sur la base de ces éléments, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) recherche David B. pour l’auditionner. Mais ce dernier s’est envolé pour le Togo, pour une opportune mission militaire d’un an, au bénéfice d’une entreprise privée…

 

Particulièrement ciblé, mais non identifié

Ce n’est que deux ans après les faits, en février 2021, que l’IGPN l’entend enfin. Si David B. confirme avoir été « vêtu de sombre pour ne pas attirer l’attention » le 8 décembre 2018, et s’il confirme n’avoir porté aucun brassard apparent (contrairement à la réglementation), il déclare n’avoir pas du tout souvenir de ce qu’il a fait ce jour-là.

En même temps, il se dit certain « à 2 500 % » de ne pas avoir porté de casque non réglementaire et nie toute participation aux violences commises contre Angelina. Des déclarations dont se contentera l’IGPN, d’autant que les perquisitions du casier et du domicile de David B., menées en juin 2021, soit deux ans et demi après les faits, demeurent infructueuses.

Parmi tous les policiers auditionnés dans l’affaire d’Angelina, aucun n’a identifié les auteurs des violences. Les responsables des différentes unités de police présentes ce jour-là ont déclaré ne pas reconnaître les fonctionnaires sur les vidéos. Certains ont même expliqué être dans l’incapacité de localiser leurs propres agents au moment des faits. Et l’IGPN a recueilli leurs déclarations sans interroger ces commissaires, commandants ou majors sur de telles incohérences.

En définitive, si le nom de David B. apparaît dans la synthèse des investigations menées par l’IGPN, au côté de trois collègues, comme ayant été particulièrement ciblés par les investigations, la « police des polices » ne conclut à aucune identification.

Et faute de pouvoir formellement identifier les auteurs, le juge d’instruction saisi du dossier ordonne un premier non-lieu en décembre 2020, en concluant malgré tout que les individus qui ont roué de coups Angelina « avaient tous la qualité de fonctionnaires de police ». Ce magistrat indépendant ajoute : « Ces violences sont d’autant plus inacceptables qu’elles ont été commises de façon purement gratuite. » 

Comment comprendre que l’institution policière puisse couvrir les comportements violents et injustifiés de certains des siens ? La situation a été jugée suffisamment inacceptable par l’avocat général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour qu’il demande, le 10 mai dernier, la reprise des investigations, effectivement décidée par la chambre de l’instruction. Une nouvelle juge a depuis été saisie du dossier.

Sollicité par Mediapart, l’avocat d’Angelina, Me Brice Grazzini, confie : « En apprenant qu’un policier [de l’affaire Hedi] avait déjà été entendu dans le cadre de son affaire, Angelina a été très choquée. Le mode opératoire résultant des faits pour lesquels il est aujourd’hui mis en examen est identique à celui de l’affaire d’Angelina. Nous n’en tirons aucune conclusion hâtive, mais cela ne manque évidement pas de nous interroger. »

Questionnée, l’avocate de David B., Julie Mulateri, n’a pas souhaité répondre à nos questions, précisant qu’une instruction est en cours.

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Dans l’affaire Hedi, apparaît par ailleurs un autre nom, celui de Mario S., l’un des agents présents au moment des faits mais qui n’a pas été mis en examen. L’expertise vidéo réclamée par la magistrate vise notamment à déterminer son rôle. D’après nos informations, ce policier de la BAC est déjà visé par une plainte pour faux en écriture publique, à la suite de faits remontant à avril 2021.

À la suite de l’interpellation d’un couple, il est soupçonné d’avoir rédigé un faux procès-verbal pour couvrir les violences commises par ses collègues. Comme nous l’avions révélé, un policier avait tabassé Eliot, 23 ans, tandis qu’un autre agent avait violemment projeté à terre et aspergé de gaz lacrymogène son amie, Marion, 32 ans.

Chargé de rédiger le procès-verbal de « saisine d’interpellation », Mario S., qui avait participé à l’interpellation, avait transformé les faits, présentant le couple comme agressif et auteur d’outrages et rébellion. Ces allégations n’ont pas résisté au visionnage d’une vidéo filmée par un témoin, qui montre des violences commises par ces agents de la BAC et dévoile l’ampleur de leurs mensonges.

Interrogé par l’IGPN, Mario S. a affirmé ne pas avoir été témoin des violences et avoir « établi son PV sur la base des descriptions » de ses collègues. Deux des policiers auteurs de ces violences doivent comparaître en septembre, tandis que la plainte pour faux déposée en février dernier par les victimes est toujours en cours de traitement par le parquet de Marseille.

 

https://www.mediapart.fr/journal/france/310723/affaire-hedi-l-un-des-policiers-deja-inquiete-dans-une-enquete-sur-le-tabassage-d-une-jeune-fille