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Sur l’immigration, la gauche cherche à faire entendre sa voix

La Nupes ne veut pas laisser le terrain politique à la droite et à l’extrême droite alors que le gouvernement prépare son projet de loi sur l’immigration. Mais l’entreprise est difficile tandis que les forces de gauche sont divisées sur le sujet et que l’opinion publique s’est raidie.

Par Sandrine Cassini et Julia Pascual

Publié le 16 juin 2023 à 05h00, modifié le 16 juin 2023 à 18h25

 

 Les députés de la Nupes, lors de la minute de silence après l’attaque au couteau d’Annecy, à Paris, le 8 juin 2023.

Les députés de la Nupes, lors de la minute de silence après l’attaque au couteau d’Annecy, à Paris, le 8 juin 2023. LUDOVIC MARIN / AFP

 

Le drame d’Annecy, le 8 juin, a remis au centre des débats la question de l’immigration. Un Syrien âgé de 31 ans, cherchant l’asile politique en France, qui attaque et blesse quatre jeunes enfants au couteau, dans un parc public : le fait divers, terrible, a suscité l’émoi national, relançant la bataille entre gauche, droite et extrême droite. Aussitôt, Marine Le Pen, la cheffe de file du Rassemblement national (RN), a exhorté à « rétrécir le droit d’asile », et le président du parti Les Républicains (LR), Eric Ciotti, à « rompre avec l’immobilisme » face au « chaos migratoire ».

A gauche, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, a, à l’inverse, appelé à ne pas « instrumentaliser » ni « généraliser ». Et la députée de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain (La France insoumise, LFI) s’est insurgée contre ce « déferlement de discours xénophobes ».

 

Comme à son habitude, la gauche, souvent accusée d’angélisme ou de laxisme par ses adversaires de droite et d’extrême droite, a mobilisé ses réflexes humanistes et antiracistes pour répondre à la problématique de l’immigration, mais sans s’aventurer au-delà. « Les Français ont l’impression que la gauche fuit ce sujet, que c’est un impensé », témoigne Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut de sondage Ipsos.

 

Les partis de gauche semblent craindre d’apparaître en décalage avec leur électorat alors que, ces dernières années, l’opinion publique dans son ensemble s’est crispée. « La moitié des gens de gauche peuvent approuver un durcissement des conditions d’accueil des étrangers en France », constate Brice Teinturier. Revers de la médaille, en donnant l’impression « d’avoir des idées qu’elle n’assume pas, la gauche a perdu la bataille idéologique », estime le politologue Rémi Lefebvre.

 

Réunion dans la plus grande discrétion

Mais, à l’heure où Marine Le Pen ne cesse d’engranger des forces à quatre ans de la présidentielle de 2027, ce supposé « déni » n’est plus tenable. L’exécutif a lancé à l’automne un projet de loi sur l’immigration, prévoyant à la fois des régularisations sur les métiers en tension et un durcissement des conditions d’accueil des étrangers. Même si le gouvernement d’Elisabeth Borne cherche à négocier avec la droite sur ce texte attendu avant l’été, son porte-parole, Olivier Véran, a exhorté la gauche à ne pas rester « en dehors de ce débat ».

 

Dans la plus grande discrétion, une quinzaine de députés et sénateurs se sont réunis le 31 mai au sous-sol du Bourbon, la brasserie qui jouxte l’Assemblée nationale, à l’invitation de Pascal Brice, ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de Marilyne Poulain, ancienne référente de la CGT sur les travailleurs migrants. Ce rendez-vous discret avait pour objectif de « proposer à des parlementaires des convergences face à un débat politique qui nous inquiète », explique M. Brice, aujourd’hui président de la Fédération des acteurs de la solidarité, qui réunit plus de 800 structures de lutte contre l’exclusion.

 

Parmi les convives figuraient le président des députés socialistes, Boris Vallaud (Landes), l’élu de la Somme François Ruffin (LFI), le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel, ainsi que le député de la Vienne et président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Sacha Houlié (Renaissance). « Le but est de faire passer des messages, et notamment que tout n’est pas à jeter dans le projet de loi, explique M. Houlié, une des figures de l’aile gauche de la Macronie. La régularisation de plein droit pour les travailleurs sans-papiers constitue un pas important. »

 

« Pas de place pour le “en même temps” »

A l’automne, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait convoqué certains groupes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) pour les convaincre des bienfaits de cette disposition, présentée comme la « jambe gauche » du projet de loi gouvernemental. « On leur avait dit que le “en même temps” n’était pas possible, qu’il fallait qu’ils choisissent », relate aujourd’hui la présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain, reçue par le ministre.

Certains élus de l’opposition semblent toutefois à l’écoute. « Que l’on travaille à la régularisation des sans-papiers, c’est indispensable, juge Fabien Roussel. C’est à l’Etat de dire qui est régularisable, et non aux entreprises, qui créent des situations d’asservissement. » Le dirigeant communiste se dit prêt à bâtir un « projet qui rassemble les progressistes et les humanistes » et à en « parler au ministre de l’intérieur ».

Au PS, Boris Vallaud estime également que « le travail est une des meilleures voix d’intégration » et se dit prêt à « prendre au mot le gouvernement ». Mais le député des Landes prévient lui aussi : « Il n’y a pas de place pour le “en même temps”. » « C’est à nous de recréer du contre-discours au sein de la Nupes, voire jusqu’à l’aile gauche de la Macronie », assume Andy Kerbrat (LFI), député de Loire-Atlantique et spécialiste dans son parti des questions d’immigration.

 

Au sein de la Nupes, les nuances restent ultrasensibles sur le sujet. Les écologistes continuent de revendiquer une ligne « no border » (sans frontière), de moins en moins audible dans l’opinion publique. La députée Sandra Regol (Europe Ecologie-Les Verts, EELV) reconnaît que le terme « fait peur », mais dénonce « l’hypocrisie » de la fermeture des frontières. « Ça ne va pas empêcher les gens d’arriver, cela nourrit juste les systèmes mafieux », poursuit l’élue du Bas-Rhin. LFI n’a cessé de fluctuer ces dernières années. En 2017, Jean-Luc Mélenchon s’était attiré de nombreuses critiques à gauche en évoquant le « travailleur détaché qui vole son pain aux travailleurs ». Le triple candidat à la présidentielle a depuis fait machine arrière, tout en réfutant l’expression « no border ».

 

La voix dissonante de Ruffin

Dans son programme, L’Avenir en commun, LFI propose désormais de régler la question de l’immigration en s’attaquant d’abord à la politique internationale. Et suggère par exemple de commencer par sortir de l’OTAN ou de stopper les accords de libre-échange. « Electoralement, c’est très compliqué, irréaliste », tranche Rémi Lefebvre. Le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, qualifie la proposition de Gérald Darmanin d’instaurer des quotas de « démagogique ». Parmi les « insoumis », seul François Ruffin fait entendre une voix dissonante. Le 23 avril, l’ancien journaliste s’est par exemple prononcé contre « l’instauration de nouvelles filières d’immigration pour nourrir le travail », renforçant l’idée qu’il faut des frontières et un contrôle des flux.

 

Soucieux de se distinguer, Fabien Roussel avait fait scandale en parlant de « frontières passoires » lors du congrès du PCF en avril, une expression renvoyant à la rhétorique de la droite et de l’extrême droite. S’il la réfute désormais, il défend l’idée qu’il faut toujours des « frontières » afin d’éviter, comme l’avait théorisé Marx, que les immigrés ne constituent une « armée de réserve du capital », souligne Rémi Lefebvre.

A gauche, la question de « l’intégration » est tout aussi délicate, renvoyant parfois à « l’assimilation », autre terminologie de la droite. « Quand chacun a le droit aux mêmes conditions de travail, ça résout une grande partie des problèmes », balaie par exemple M. Roussel. Sandra Regol voit dans la proposition du ministre de l’intérieur de renforcer les tests de français « davantage une logique discriminatoire qu’une volonté d’intégrer ». De la réunion du Bourbon à la proposition législative commune, il y a encore du chemin.

 

Sandrine Cassini et Julia Pascual

 

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