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Daniel Kretinsky, nouveau poids lourd de l’emploi en France

Avec les acquisitions de Casino, d’Editis et de l’infogérance d’Atos, l’homme d’affaires tchèque emploiera près de 80 000 personnes dans l’Hexagone.

Par Olivier Pinaud et Juliette Garnier

Publié aujourd’hui à 05h00, modifié à 08h48

 Daniel Kretinsky, le 5 septembre 2019, à Paris.
Daniel Kretinsky, le 5 septembre 2019, à Paris. THOMAS SAMSON / AFP

De quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de salariés. Dans quelques semaines, une fois définitivement signés les projets d’acquisition du distributeur Casino, de l’éditeur Editis et de Tech Foundations, la division infogérance d’Atos, Daniel Kretinsky s’imposera comme l’un des premiers employeurs de France. Pas loin de 80 000 de personnes travailleront pour une entreprise ayant l’homme d’affaires tchèque comme propriétaire à 100 % ou comme premier actionnaire.

Les médias – M. Kretinsky est actionnaire indirect du Monde –, un secteur dans lequel la première acquisition remonte à 2018 avec l’hebdomadaire Marianne, puis l’achat, en 2019, des activités françaises de l’énergéticien allemand Uniper, lui ont ouvert les portes de l’Hexagone, mais ces métiers n’emploient respectivement que 700 et 400 personnes.

 

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Rien à voir avec les 50 000 salariés de Casino en France. A eux seuls, les effectifs français du distributeur représentent précisément le double de ceux d’EPH, le groupe d’énergie de l’homme d’affaires tchèque, celui qui a fait sa fortune dans les centrales à charbon et qui lui permet d’enchaîner les acquisitions un peu partout en Europe. A ces 50 000 employés de Casino, il faut ajouter les 19 000 du distributeur Fnac Darty, dont M. Kretinsky détient 25 % du capital, les 6 000 informaticiens de Tech Foundations et les 2 500 collaborateurs d’Editis.

 

Un argument de poids

Cette nouvelle responsabilité sociale en France engage autrement plus le milliardaire tchèque que s’il était resté cantonné aux médias et à l’énergie. Denis Olivennes, qui conseille M. Kretinsky dans la presse et l’édition, aime présenter son patron comme un bâtisseur et non comme un spéculateur. Pour emporter Casino, M. Kretinsky, associé pour l’occasion à Fimalac, la holding de Marc Ladreit de Lacharrière, et au fonds britannique Attestor, savait bien qu’il devait montrer patte blanche sur le volet social pour rassurer le ministère de l’économie et la mairie de Saint-Etienne, berceau du distributeur.

« Il n’est pas question que le siège historique du groupe soit menacé par la reprise, quel que soit le repreneur qui sera choisi », avait lancé le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, devant les députés, le 11 juillet, alors que Xavier Niel, actionnaire à titre individuel du Monde, Matthieu Pigasse et Moez-Alexandre Zouari étaient eux aussi dans la course pour s’emparer de Casino. Message entendu : MM. Kretinsky et Ladreit de Lacharrière se sont engagés dans l’accord signé le 27 juillet à maintenir l’emploi en France, à préserver le siège stéphanois, qui compte 1 500 personnes, et à garder le plus possible d’hypermarchés et de supermarchés.

 

Le ministre avait un argument de poids : pour l’aider à surmonter ses difficultés financières, l’Etat avait accordé au distributeur, en juin, un report de charges sociales et fiscales, d’un montant total d’environ 300 millions d’euros, dues pour la période allant de mai à septembre 2023. « Cette aide devra être remboursée par les repreneurs à l’Etat », a rappelé M. Le Maire.

 

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De leur côté, les salariés de Casino s’inquiètent de ce changement d’actionnaire. « Les salariés nous disent qu’ils veulent être bien traités et que, pour cela, ils ont besoin d’embauches et d’investissement dans les magasins », a résumé Alida Melizi, élue FO, au lendemain de l’annonce de l’accord de reprise de Casino par M. Kretinsky. Il « met fin à plusieurs incertitudes », mais cela « ne résout pas toutes les problématiques qui émanent de l’orientation stratégique et politique de l’entreprise », insistait la CGT.

 

« Scepticisme et prudence »

Dans Les Echos et le Financial Times, le 16 juillet, M. Kretinsky s’est dit prêt « à préserver le périmètre maximal possible ». Mais « sous quel mode conservera-t-il les magasins de Casino, ses supermarchés et hypermarchés ? Le succursalisme ? Ou la location-gérance ? Ce n’est pas précisé », relève Jean-Luc Farfal, délégué syndical CFDT. Et le lancement d’une nouvelle stratégie commerciale n’interviendra que « début 2024 », après la mise en place d’une nouvelle gouvernance. « C’est à la fois long et court », formule M. Farfal, en craignant un creusement des pertes d’activité au dernier trimestre 2023, une période qui pèse lourd dans les comptes des grandes surfaces alimentaires.

 

Chez Atos, même si « l’accord avec M. Kretinsky comprendrait une stabilité de la gouvernance et de la stratégie », la CFDT, premier syndicat du groupe d’informatique, « accueille avec scepticisme et prudence ces annonces et s’interroge sur leurs conséquences sur l’emploi, les conditions de travail et l’avenir professionnel des salariés dans les deux futures sociétés ». Séparé de Tech Foundations, Atos, recentré sur la cybersécurité, sera renommé Eviden. M. Kretinsky détiendra 7,5 % de son capital.

 

 

 

C’est pourquoi, dans un communiqué publié le 5 août, « la CFDT demande à M. Kretinsky de s’engager fortement pour la préservation de toutes les entités de Tech Foundations et pour la garantie d’emploi ». Quant à Editis, quelles seront ses relations avec la Fnac, le plus gros vendeur de livres en France ? Avoir le même actionnaire pourrait-il léser les libraires indépendants ? Un risque que balaie le groupe de M. Kretinsky, en assurant que l’investissement dans Fnac Darty est purement financier, sans aucun levier d’influence sur la stratégie du distributeur.

 

Secteur postal

La France n’est pas le seul terrain de chasse de l’homme d’affaires tchèque pressé de réinvestir le cash accumulé par EPH, dont le résultat brut d’exploitation a quasiment doublé en 2022, à 4,3 milliards d’euros, grâce à l’envolée des prix de l’énergie avec la guerre en Ukraine. En juin, il s’est, par exemple, renforcé au capital d’IDS, ex-Royal Mail, les services postaux britanniques, dont il détient désormais 26 % du capital. Le groupe emploie 152 000 salariés, dont la quasi-totalité au Royaume-Uni.

Dans le même secteur postal, M. Kretinsky détient, depuis la fin de 2022, un peu moins du tiers du capital du néerlandais PostNL, qui compte environ 40 000 salariés. Il est également actionnaire du groupe britannique de supermarchés Sainsbury’s (189 000 employés au Royaume-Uni) et de son homologue allemand Metro (90 000 employés dans le monde, dont 17 000 en Allemagne).


Olivier Pinaud
et Juliette Garnier

 


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