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Au Liban, un café littéraire exclusivement réservé aux femmes

À Baalbeck, l’un des fiefs du parti armé Hezbollah, le café littéraire Mayli a récemment été inauguré. Un véritable espace de culture et de liberté pour les femmes de cette ville déshéritée et en proie à l’obscurantisme, raconte le site “Daraj”.

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Daraj
Traduit de l'arabe
 
La couverture d’une traduction en arabe du “Deuxième sexe” de Simone de Beauvoir. Capture d’écran d’une photo tirée du compte Instagram du cafe littéraire Mayli. PHOTO CAPTURE D’ÉCRAN/Mayli_library sur Instagram

 

Pour reconquérir un espace public généralement dominé par les hommes, des Libanaises ont créé un café littéraire réservé exclusivement aux femmes, une première [au Liban]. Elles l’ont appelé Mayli [“passes !” en arabe], un mot utilisé localement pour s’inviter les unes les autres. “Ce nom ajoute quelque chose de spontané et d’intime et il s’est rapidement imposé”, explique Mahad Haïdar, une des cofondatrices du café.

L’initiative est d’autant plus remarquable que cela se passe à Baalbeck [dans la plaine de la Bekaa, dans l’est du Liban frontalier de la Syrie, un des fiefs du parti chiite armé Hezbollah], une ville défavorisée qui manque singulièrement de lieux culturels.

 

La ville de Baalbeck, dans la plaine de la Bekaa, au Liban.

 

Il n’y existe aucun théâtre, ni bibliothèque ni centre culturel, ce qui a renforcé sa mauvaise image déjà dégradée par des décennies d’incurie et de dégradation de la situation sécuritaire.

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Mahad Haïdar raconte : “Les lieux publics au Liban, surtout dans la plaine de la Bekaa, sont un domaine réservé aux hommes. Et c’est encore plus vrai pour les cafés, qui sont pensés pour être un lieu de rendez-vous entre hommes, alors que les femmes sont traditionnellement confinées à la sphère familiale, à l’intérieur de la maison.”

 

Ségrégation ?

D’où l’idée de créer un espace pour permettre aux femmes de se réunir, de lire, de discuter, de proposer des débats sur des questions d’ordre privé ou de portée générale.

“On veut qu’elles puissent être elles-mêmes, sans subir de pressions ou se sentir observées, sans les remarques qu’on leur fait en permanence.”

 

D’aucuns estiment qu’il s’agit d’une forme de ségrégation, mais Mahad Haïdar est implacable : “Au contraire, nous essayons de rétablir un équilibre.”

En mettant l’accent sur des livres écrits par des femmes, le but consiste également à mettre en valeur la production intellectuelle féminine, là où les librairies ordinaires proposent majoritairement des livres écrits par des hommes.

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Le lieu cherche à “établir une justice spatiale dans une région qui depuis longtemps souffre des conséquences d’une relégation systématique”, insiste Myriam Cheaib, qui participe elle aussi au projet.

 

Femmes de différents horizons

“Les femmes profitent de cet endroit pour travailler, pour étudier, pour lire et pour échanger ou tout simplement passer un bon moment. On propose des boissons à des prix symboliques, dans une ambiance relaxante.”

Le café accueille des femmes de différents horizons culturels, [de différentes appartenances confessionnelles] et de toutes catégories sociales.

Et Myriam Cheaib de poursuivre : “Nous voulions que ce soit un lieu où les femmes puissent s’exprimer en toute liberté, en se sentant en sécurité. Ici, elles peuvent faire abstraction des contraintes et jugements moraux qui partout ailleurs dans l’espace public restreignent leur liberté de mouvement.”

Les femmes à l’origine de ce projet espèrent que leur initiative constitue le premier pas vers un changement fondamental de la condition féminine au Liban. L’initiative a reçu et reçoit encore “beaucoup de marques de soutien et de solidarité”, assure Mahad Haïdar.

 

Nour Sleiman