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L’expulsion de son logement d’un jeune condamné et de sa famille suscite l’incompréhension

La préfecture du Val-d’Oise a annoncé l’expulsion d’une famille d’un logement social de Deuil-la-Barre, après la condamnation d’un des enfants pour pillage lors des révoltes urbaines liées à la mort de Nahel. Une décision aux airs de punition collective et qui pourrait constituer un dangereux précédent.

Célia Mebroukine

24 août 2023 à 20h47

LaLa préfecture du Val-d’Oise a annoncé mercredi sur les réseaux sociaux avoir expulsé une famille d’un logement social de Deuil-la-Barre, une commune proche de Sarcelles. La raison invoquée ? Un des membres du foyer a été condamné début juillet pour avoir participé au pillage d’un supermarché et d’un opticien du centre-ville. Mais pourquoi établir un lien entre une condamnation pénale et le fait de disposer d’un toit pour vivre ? D’autant que pour un condamné, toute une famille a été expulsée.

Selon les informations du Parisien, le jeune homme (tout comme six autres personnes interpellées pour les mêmes faits) a été condamné à un an de prison. Une peine à effectuer à domicile sous bracelet électronique pour certains ou en détention pour d’autres. On ne sait pas sous quel régime le membre de cette famille devait effectuer sa peine. Et vingt-quatre heures après la révélation des faits, le manque d’information est criant dans cette histoire : ni la préfecture ni la mairie n’ont répondu aux questions de Mediapart. Comme s’il s’agissait avant tout d’envoyer un message, au prix d’une communication brutale et peu compréhensible.

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Dans son annonce, la préfecture ne brille en effet ni par son empathie ni par sa retenue. Elle publie même des photos de l’expulsion en cours. Pour Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, cette communication est « choquante ». « Faire des photos accompagnées d’un hashtag “Droits et devoirs”, c’est très malsain. On se fait plaisir à humilier une famille », déplore le représentant de la Fondation Abbé Pierre.

Mais sur quels éléments la préfecture a-t-elle pu s’appuyer ? Le préfet du Val-d’Oise, Philippe Court, a annoncé jeudi avoir engagé vingt-neuf procédures d’expulsion locative pour des faits de délinquance liés au trafic de stupéfiants, aux rodéos mais aussi, donc à des « émeutes ». L’expulsion locative de mercredi serait donc loin d’être la dernière. 

Selon le préfet, elle s’est faite « en application d’un jugement antérieur » : « La finalité de cette expulsion est liée au fait que cette personne a pillé un magasin. Il s’avère par ailleurs, dans ce cas, qu’il y avait déjà un autre motif d’expulsion donc pour gagner du temps, on a exécuté un jugement d’expulsion préexistant », a précisé Philippe Court.

Est-ce à dire que même sans autre motif, des expulsions seront également possibles ?

Le bureau du procureur de la République de Pontoise confirme l’existence d’une convention départementale entre le parquet, la préfecture du Val-d’Oise et le bailleur social gestionnaire du logement. Une convention similaire à celles en vigueur dans d’autres départements français, comme la Drôme ou les Alpes-Maritimes. 

À l’automne 2021, l’expulsion d’une mère de famille gravement malade d’un logement social de Nice après la condamnation de son fils pour trafic de stupéfiants avait défrayé la chronique. Anthony Borré, premier adjoint du maire Christian Estrosi (Horizons), répétait à l’envi qu’il n’y aurait « pas de logement social pour les ennemis de la République ».

Des expulsions facilitées par des conventions entre services de l’État

Une saillie arrogante permise par la mise en place d’une convention entre la préfecture des Alpes-Maritimes, le procureur de la République de Nice, la ville de Nice et le bailleur social Côte d’Azur Habitat, que Mediapart s’était procurée. Cette dernière indique : « à la demande du bailleur […], le procureur de la République de Nice peut l’aviser des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées ou lui transmettre la copie d’une décision pénale constatant des troubles causés par un locataire ou un occupant […] afin qu’il puisse étayer son argumentation en cas d’assignation aux fins de résiliation du bail pour troubles de jouissance ».

Des troubles de jouissance souvent liés à l’existence de points de trafic de stupéfiants dans les immeubles et à l’utilisation illégitime des parties communes. 

Ces décisions d’expulsion s’appuient sur un article de loi de 1989 stipulant entre autres que le locataire est obligé de « payer le loyer et les charges » et « d’user paisiblement des locaux loués ». « Le propriétaire peut demander l’expulsion des locataires et des occupants à compter du moment où il y a un défaut de paiement ou un trouble de jouissance, confirme Mireille Damiano, ancienne présidente nationale du Syndicat des avocats de France (SAF) et représentante du syndicat à Nice. C’est là-dessus que les autorités s’appuient même si on peut questionner la proportionnalité de ces décisions. »

Car le lien semble cette fois très éloigné entre le délit commis et un trouble causé dans la zone d’habitation : « Le deal est une vraie nuisance pour le voisinage, même si on peut interroger l’efficacité d’expulser pour finalement déplacer le problème ailleurs. Mais, dans le cas de l’expulsion de la famille de Deuil-la-Barre, la condamnation est liée à un événement ponctuel - la participation à une émeute - qui n’est pas une nuisance régulière dans la résidence. Et donc, ça pose question », explique Manuel Domergue de la Fondation Abbé Pierre.  

D’autres arguments viennent ébranler la communication de la préfecture qui se vante d’avoir puni un émeutier et sa famille. Manuel Domergue s’étonne notamment de la rapidité de la décision d’expulsion prise en plein été, seulement quelques semaines après la condamnation du jeune homme.

Une autre question se pose : est-il bien judicieux de punir toute une famille pour la condamnation d’un seul ? Depuis quelques années, les cas de sanction collective pour les locataires de logements sociaux sont de plus en plus nombreux. « Expulser les parents, les frères et les sœurs d’un jeune qui a commis un délit, c’est très injuste, regrette Manuel Domergue. Pourtant, ce genre de double peine est très en vogue. Mais c’est une pente glissante : si dès qu’un délit est commis, on expulse, on s’arrête où ? » 

Sur le fond, ce genre d’affaires repose la question de la façon dont les autorités considèrent le logement. En octobre 2022, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait appelé à la « généralisation des expulsions des familles à problèmes » pointant du doigt les familles vivant, selon lui, « de vol, de trafic de drogue » mettant « le bordel dans le quartier ». 

« Un logement, ce n’est pas une récompense, explique Manuel Domergue. Ce n’est pas seulement pour les gens qui se comportent bien, c’est pour tout le monde. On ne résout aucun problème social en expulsant des familles de leur logement social, surtout dans des zones tendues. » Une fois expulsées, ces familles doivent alors chercher un logement dans le parc privé, pour des logements moins spacieux et plus chers. Certaines sont contraintes, dans le pire des cas, de squatter des logements de façon illégale, ou de dormir dans la rue si elles ne trouvent pas de places d’hébergement.