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Le cuisinier indien interpellé dans une église à Caen n’est plus menacé d’expulsion

Selon les informations de Mediapart, l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) émise par la préfecture du Calvados a été retirée et son dossier va pouvoir être réexaminé. L’homme avait été arrêté par la police le 9 juin dernier alors qu’il se trouvait dans une église pour prier, après le signalement d’un passant.

Nejma Brahim

19 août 2023 à 18h51

Il risquait d’être renvoyé à tout instant vers l’Inde, son pays d’origine qu’il avait quitté aux côtés de son épouse Elgi en quête d’un avenir meilleur. Eldhose, cuisinier en CDI dans un restaurant à Caen, n’est plus menacé d’expulsion. « Le dossier de M. Kollinal a été réexaminé. L’obligation de quitter le territoire français [OQTF – ndlr] a été retirée et l’intéressé a été invité à déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour, comme il en émettait le souhait », a indiqué la préfecture du Calvados à Mediapart après que nous l’ayons sollicitée. Les services du ministère de l’intérieur, également contactés, s’alignent sur la réponse apportée par la préfecture.

Le couple se dit « soulagé » de cette nouvelle et espère déposer la demande de régularisation d’Eldhose dès que possible. La préfecture étudiera sa demande « à l’appui des pièces qu’il aura produites », a-t-elle ajouté. « J’ai reçu un appel des services de la préfecture mercredi mais on ne savait pas que l’OQTF avait été annulée, rapporte Elgi. Ils nous ont dit qu’ils avaient besoin de notre adresse pour nous envoyer un courrier relatif à sa demande de carte de séjour. » De son côté, la Cimade, association d’aide aux étrangers, accueille cette décision « avec un grand soulagement ».

« Si sa régularisation se confirme, Eldhose et sa famille pourront envisager leur avenir en France bien plus sereinement. » L’association salue également la mobilisation citoyenne qui s’est organisée pour soutenir la famille. « Pour nous, c’est incroyable », complète Elgi, l’épouse d’Eldhose. « Plus de six mille personnes ont signé la pétition alors que nous ne connaissons pas tant de gens en France… Je n’ai pas les mots pour dire combien ce soutien nous touche. » La famille espère désormais pouvoir « vivre en France sans encombre », et continuer de construire la nouvelle vie qu’elle a trouvée ici.

Parents d’un bébé de 2 ans né en France, Elgi et Eldhose espèrent également pouvoir faire venir leur fille, âgée de six ans, restée en Inde auprès des grands-parents. La Cimade précise enfin que son antenne locale restera vigilante et mobilisée afin que la demande d’admission exceptionnelle au séjour d’Eldhose « puisse effectivement aboutir ». Elle rappelle également qu’au-delà de sa situation personnelle, une politique d’accueil respectueuse des droits des étrangers doit être mise en place en France, de manière à ce que les personnes étrangères ne soient plus menacées par « l’arbitraire d’une interpellation policière ».

Ni la préfecture ni le ministère de l’intérieur n’ont répondu à nos questions concernant les conditions de son interpellation – Eldhose avait été contrôlé par la police municipale puis interpellé alors qu’il se trouvait dans une église à Caen afin de prier, ce qui est illégal.

Nous republions ci-dessous un article diffusé par Mediapart le 11 août 2023

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« Notre avenir est en France », martèle Elgi, 38 ans, aux côtés de son mari Eldhose, 36 ans, depuis leur logement situé à Caen (Normandie). En arrière-plan, leur bébé âgé de 2 ans balbutie. Le couple aimerait l’inscrire à la crèche dès l’année prochaine, mais ignore s’il le pourra : Eldhose fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), la deuxième en deux ans. Il lui est aussi interdit de revenir en France.

Originaires d’Inde, Elgi et son époux sont arrivés en France en 2020 et ont vu leur demande d’asile rejetée, d’abord par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), puis par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), chargée d’étudier les recours des requérants déboutés en première instance. « On ne peut rien prévoir pour l’instant. On garde foi et confiance en Dieu », résument-ils. Eldhose a été contrôlé par la police municipale le 9 juin dernier à Caen, alors qu’il priait à l’église Saint-Pierre de Caen.

« Un passant l’a signalé à la police, qui est entrée dans l’église pour le contrôler, relate Elgi en anglais. Il a bien précisé qu’il travaillait dans un restaurant tout près, mais les agents l’ont fouillé et ont insisté pour voir sa carte de séjour. » Eldhose n’en a pas : il est sans papiers depuis que sa demande d’asile a été rejetée. Mais il comptait déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour en juillet, soit deux ans après la signature de son CDI.

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Eldhose, Elgi et leur bébé dans leur logement à Caen. © Photo Eldhose.

« Il me fallait 24 fiches de paie pour pouvoir le faire. J’ai été interpellé pile le mois qui précédait », lâche-t-il, amer. C’est un collègue d’Eldhose qui donne l’alerte et contacte Elgi à 18 heures ce jour-là, s’inquiétant de ne pas le voir arriver sur son lieu de travail. « J’avais reçu un appel en absence, je lui ai donné le numéro en question pour qu’il rappelle. Il est tombé sur la police et on a compris », poursuit Elgi, qui n’a pu se rendre sur place, craignant elle aussi d’être interpellée. Chaque jour, son mari se rend à l’église pour prier, aux alentours de 16 h 45, avant de commencer le travail à 17 h 30.

Une arrestation illégale

Placé en retenue administrative durant 24 heures sans pouvoir être assisté d’un avocat, Eldhose ressort du poste de police avec une OQTF « sans délai » doublée d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF). L’antenne locale de la Cimade, une association venant en aide aux personnes étrangères et qui suivait déjà le couple, se mobilise immédiatement. Un communiqué est publié pour dénoncer le risque d’expulsion auquel il fait face, mais aussi pour souligner l’illégalité de l’interpellation par les forces de l’ordre, survenue dans un édifice religieux.

Il s’agit de quelqu’un de tout à fait respectable qui ne représente aucun danger.

Le père Laurent Berthout

Pour qu’il y ait intervention des forces de l’ordre dans une église, rappelle le père Laurent Berthout, prêtre du diocèse de Bayeux, « la police doit demander une autorisation à l’affectataire, c’est-à-dire le curé ou la communauté religieuse ». Ici, la procédure « n’a donc pas été respectée ». « C’est ce qui nous a le plus choqués : ça ne doit pas se faire comme ça, d’autant qu’ici, il s’agit de quelqu’un de tout à fait respectable qui ne représente aucun danger », souligne-t-il, évoquant l’implication de la famille d’Eldhose dans leur paroisse et confirmant le fait qu’il se rendait quotidiennement dans cette église pour prier.

« C’était au lendemain de l’attaque d’Annecy, pointe Samuel, bénévole à la Cimade. On ne sait pas qui l’a signalé à la police, soi-disant pour comportement suspect, mais cela nous étonne beaucoup puisqu’il a l’habitude de prier dans cette église. » L’association rappelle combien le drame d’Annecy avait suscité un « climat malsain de méfiance vis-à-vis des personnes étrangères ». « Certaines personnes vivent malheureusement dans la psychose aujourd’hui », ajoute le père Laurent Berthout.

Lors d’une audience au tribunal administratif le 4 juillet visant à contester l’OQTF, l’avocate d’Eldhose a mis en avant l’irrégularité de son interpellation, tout comme les multiples facteurs d’intégration de la famille. Mais le juge administratif a refusé d’annuler la mesure d’éloignement, estimant qu’une première OQTF lui avait déjà été notifiée par le passé et n’avait pas été appliquée. La famille a annoncé faire appel de la décision, mais la démarche n’est pas suspensive : Eldhose peut être expulsé à tout moment.

Le soutien de nombreux acteurs locaux

La première OQTF avait été prononcée lorsque sa demande d’asile avait été définitivement rejetée. Selon la Cimade, le couple n’avait pas pu déférer à l’OQTF de juillet 2021 suite à l’hospitalisation d’Elgi, consécutive à une erreur médicale à cette même période.

Malgré une lettre de soutien de l’employeur adressée à la préfecture et la mobilisation d’une centaine de personnes, ainsi qu’une pétition en ligne ayant récolté à ce jour 2 400 signatures, « le préfet est resté inflexible jusqu’à présent, poursuit Samuel, refusant de faire toute exception ». Le père Berthout a également sollicité le maire de Caen et le député de la circonscription pour alerter sur son cas.

« Notre évêque est aussi intervenu auprès du préfet, mais celui-ci a dit ne pas vouloir faire d’exception à la règle, considérant qu’à partir du moment où une personne est sans papiers, elle doit être éloignée du territoire », rapporte-t-il, regrettant que les autorités ne tiennent pas compte de la « bonne intégration » de la famille.

La famille suit en effet des cours de français avec la Cimade et participe à de nombreuses activités culturelles au niveau local. « Je suis infirmière de profession avec douze années d’expérience », complète Elgi, qui rêve de pouvoir reprendre son métier en France si elle est régularisée. « On n’a plus rien en Inde, on a construit une nouvelle vie ici. Et que va devenir notre bébé si on est expulsés ? »

Son mari pourrait, s’il restait sur le territoire, répondre aux critères du futur projet de loi asile et immigration, qui n’a cessé d’être repoussé mais devrait être examiné à la rentrée, et dont l’un des volets visait à régulariser des travailleuses et travailleurs sans papiers des métiers dits « essentiels ».

L’actuel préfet du Calvados, qui a quitté ses fonctions à la préfecture en juillet, devrait être remplacé le 21 août. Il laisse l’épineux dossier d’Eldhose en suspens et à l’appréciation de son successeur.