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En Bretagne, une compagnie aérienne intérieure prend son envol avec l’aval du gouvernement

À l’heure de la planification écologique, le ministère de la transition écologique s’apprête à autoriser un nouveau transporteur aérien à effectuer des vols intérieurs déjà couverts par d’autres opérateurs. Pis, cette compagnie bretonne est financée à 60 % par des aides publiques.

Mickaël Correia

22 octobre 2023 à 19h16

UnUn condensé d’aberrations climatique et économique. Alors que la planète se réchauffe toujours plus vite et qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer sa planification écologique, le ministère de la transition écologique devrait donner son aval au lancement d’une nouvelle compagnie aérienne, selon les informations de Mediapart.

Baptisée Celeste, cette dernière a pour projet phare d’ouvrir une liaison aérienne entre Brest et Paris. Qu’importe que ce trajet soit déjà opéré quotidiennement par Chalair à destination d’Orly ou par Air France vers Roissy.

L’initiative semble d’autant plus saugrenue qu’à l’heure du report modal vers le train, Brest est à moins de quatre heures de TGV de la gare Montparnasse, située dans Paris intra-muros.

Basée à Morlaix (Finistère), Celeste a été créée en 2021 par Bruno Besnehard, ancien patron de Vueling France, et Arnaud Jouslin de Pisseloup de Noray, issu d’une société de conseil pour le secteur aérien. À plus long terme, la compagnie souhaite aussi réaliser des vols depuis Brest vers Toulouse, Strasbourg, Nice ou Montpellier. Ou encore vers des « destinations soleil » comme Madrid.

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Un Airbus A320 sur le tarmac de l'aéroport d'Ajaccio (Corse-du-Sud), le 14 octobre 2022. © Photo Pascal Pochard-Casabianca / AFP

Un contresens climatique alors que l’humanité vient de vivre son été le plus chaud jamais mesuré et que les émissions mondiales de CO2 liées au secteur aérien ont augmenté de 42 % entre 2005 et 2019.

Toutefois, Celeste pourrait obtenir dès le mois de novembre sa licence d’exploitation. Cette autorisation administrative de voler est délivrée par la Direction générale de l’aviation civile – service d’État rattaché au ministère de la transition écologique – et signée par le ministre délégué chargé des transports, Clément Beaune.

Selon nos sources, ce dernier est personnellement informé du dossier Celeste.

Une compagnie biberonnée à l’argent public

Pour démarrer son activité à rebours de l’urgence climatique, la compagnie aérienne a pu bénéficier d’un total de 3,5 millions d’euros d’avances – remboursables sur huit ans et à taux zéro – de la part des collectivités bretonnes, et ce sans aucune condition écologique.

La communauté d’agglomération de Morlaix a voté en décembre 2021 puis en juin dernier une aide totale à Celeste de 2 millions d’euros. Brest Métropole a pour sa part accordé en avril une avance de 500 000 euros, arguant que « pour la vocation “affaires”, la ligne [aérienne] Brest-Orly est celle qui répond le mieux en termes de niveau de service aux besoins exprimés par les entreprises et institutions de la pointe bretonne ».

Nous devons améliorer les déplacements des habitants au quotidien et ne pas investir au profit des quelques-uns qui font Brest-Paris en avion.

Glen Dissaux, vice-président de Brest Métropole, chargé du plan climat

Cette décision a provoqué l’ire de l’écologiste Glen Dissaux, vice-président de Brest Métropole, chargé du plan climat, qui déclare : « Ce soutien financier va à contresens de tous nos engagements climatiques [...]. Nous devons améliorer les déplacements des habitants au quotidien et ne pas investir au profit des quelques-uns qui font Brest-Paris en avion. »

Enfin, le 12 juin, la région Bretagne a voté 1 million d’euros de soutien à Celeste. Vice-président de la commission aménagement et mobilités à la région, l’élu écologiste Loïc Le Hir rapporte à Mediapart : « Cette décision a été votée par les élus de la majorité présidentielle, de la droite et de l’extrême droite. C’est une absurdité économique de financer avec de l’argent public une compagnie aérienne qui, de surcroît, concurrence sur le même trajet un autre opérateur. »

Soutien du patronat

Le patronat breton s’est fortement mobilisé pour garantir le lancement de la compagnie aérienne. Dès octobre 2022, la chambre de commerce et d’industrie du territoire et les antennes finistériennes du Medef, de la Confédération des petites et moyennes entreprises, de l’Union des industries et métiers de la métallurgie et de la Fédération française du bâtiment ont appelé dans une lettre les entreprises du département à participer à une souscription pour entrer au capital de Celeste.

Ces cinq acteurs économiques y pointent l’enjeu du « désenclavement » du Finistère, Celeste ayant avancé auprès de ces institutions patronales que « l’offre aérienne est un levier majeur pour l’économie des territoires ».

« Difficile de parler d’enclavement quand on sait que la région Bretagne dénombre à elle seule huit aéroports commerciaux, sans compter les aérodromes, rétorque Loïc Le Hir. La France compte en moyenne un aéroport pour près de 1 million d’habitants. En Bretagne, nous descendons à un pour 413 000 habitants. »

Un an plus tard, une soixantaine d’entreprises ont souscrit à hauteur de 700 000 euros au capital de Celeste. À cela s’ajoute 1,5 million d’euros d’investissements directs de la part de la chambre de commerce et d’industrie Bretagne Ouest, qui a le statut d’établissement public de l’État.

Au total, l’argent public, sous forme de capital ou d’avance remboursable, représente plus de 60 % du plan de financement de la compagnie aérienne, qui s’élèverait à hauteur de 8,2 millions d’euros.

Contacté par Mediapart, Bruno Besnehard, PDG de Celeste, assure : « Les habitants et professionnels bretons font la demande d’une liaison pérenne entre Brest et Orly, alors que d’autres compagnies aériennes peuvent la délaisser du jour au lendemain [Transavia avait abandonné cette ligne fin 2022 – ndlr]. La création de Celeste est donc pour les collectivités locales, les acteurs économiques et les Bretons une sécurisation de la liaison »  — voir en Boîte noire de cet article les réponses complètes du PDG de Celeste.

Saboter le climat pour quelques businessmen

Le projet porté par Celeste et abondé d’argent public est clairement destiné à répondre aux besoins de déplacements réguliers vers Paris d’une poignée de cadres dirigeants bretons, qui préfèrent prendre l’avion plutôt que le train. La lettre de soutien à la compagnie aérienne de la part des acteurs économiques locaux explicite même « la volonté de disposer d’une compagnie aérienne dédiée au service de [leur] écosystème finistérien et breton ».

Cette missive patronale rappelle les disparités sociales énormes que masque l’usage de l’avion. Dans l’Hexagone, les cadres supérieur·es volent en effet 17 fois plus que les ouvriers et ouvrières.

Par ailleurs, cette velléité des businessmen de la région de pouvoir faire des allers-retours à Paris, et à laquelle répond la compagnie Celeste, s’assoit délibérément sur la réalité du réchauffement planétaire. Rien qu’en France, le transport aérien incarne à lui seul plus de 5 % de nos rejets de gaz à effet de serre. Et nos émissions liées au trafic aérien ont bondi d’environ 17 % entre 2000 et 2019, selon les chiffres du ministère chargé des transports.

Une situation totalement contradictoire avec l’objectif national d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Le cabinet d’expertise climatique Carbone 4 et le groupe de réflexion The Shift Project estiment que la réduction du transport aérien est un levier indispensable pour décarboner le secteur. Et en juillet dernier, une étude parue dans Nature Communications démontrait que le trafic aérien européen doit diminuer pour atténuer l’ampleur des impacts du dérèglement climatique.

Interrogé sur la contradiction de lancer une compagnie aérienne à l’heure de la crise climatique, le PDG de Celeste a répondu à Mediapart : « Nous avons pensé Celeste en pleine complémentarité avec l’offre de transport déjà existante, et les études démontrent que les liaisons aériennes ne cannibalisent pas le train, mais répondent à des besoins précis de mobilité. » 

Contacté par Mediapart, le ministère délégué aux transports s’est contenté de répondre que « toute compagnie peut être créée et autorisée à opérer dès lors qu’elle satisfait les conditions réglementaires requises en matière de sécurité et de conditions de financement » et qu’il est normal que Clément Beaune « ait connaissance du projet de création d’une compagnie aérienne ».

Après son soutien à l’autoroute A69, contestée par de nombreux scientifiques, militants écologistes et habitants, Clément Beaune appuie donc désormais un nouveau projet délétère pour le climat.

Le ministère de la transition écologique n’a pour sa part pas répondu à nos sollicitations à l’heure de la publication de cet article (voir la Boîte noire de cet article).

La liaison aérienne Brest-Paris échappe à la mesure inscrite dans la loi « climat et résilience » de 2021 qui impose la suppression des vols intérieurs lorsqu’un trajet en train de moins de deux heures trente est possible. Interrogé sur la fin de ces vols courts, en mai dernier sur France Info, Clément Beaune avait pourtant asséné : « Je le dis : on ira plus loin. »

À défaut d’aller plus loin, Celeste nous ferait surtout aller plus vite vers le chaos climatique. Ses premier vols, après validation du ministre des transports, sont attendus dès cet automne, alors que le mois de septembre dernier a été le plus chaud jamais enregistré au monde.