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Comment la guerre Israël-Hamas a déchiré Harvard

Le conflit au Proche-Orient a révélé les fractures profondes déchirant la prestigieuse université américaine, fragilisant dramatiquement la position de sa nouvelle présidente, Claudine Gay, icône des milieux progressistes.

 

Elle était une femme, noire, fille d’immigrés haïtiens et spécialiste des études afro-américaines. Lorsque Claudine Gay est choisie pour présider Harvard à compter du 1er juillet 2023, c’est une petite révolution, un nouveau saut progressiste pour la plus ancienne université américaine qui compte 25 000 étudiants et 2 450 professeurs enseignants. Une affirmation politique, alors que la Cour suprême, tous les observateurs l’ont compris, s’apprête à déclarer inconstitutionnelle la discrimination positive pour sélectionner les étudiants.

Las, son mandat à peine commencé se fracasse, à partir de l’attaque terroriste du 7 octobre, sur le conflit israélo-palestinien. Interrogée le 5 décembre sur les débordements antisémites sur les campus, avec ses collègues de Penn University, Elizabeth Magill, et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Sally Kornbluth, Claudine Gay, 53 ans, est incapable de répondre clairement à la question posée par la représentante au Congrès, la républicaine Elise Stefanik. « Est-ce que l’appel au génocide des juifs viole le code de conduite » des universités en matière de harcèlement et d’intimidation ? « Cela peut être le cas, selon le contexte, comme cibler un individu », répond Claudine Gay, à l’instar de ses deux collègues.

 

Obsédées par la défense de leur règlement intérieur sur la liberté d’expression, les trois présidentes restent rivées aux éléments de langage préparés par les juristes. « Cela ne dépend pas du contexte. La réponse est oui, et c’est pourquoi vous devriez démissionner », lance Elise Stefanik. Précision notable : cette représentante trumpiste avait démarré l’audition en assimilant le fait d’appeler à l’Intifada (« soulèvement » en arabe) à celui de « commettre un génocide contre les juifs en Israël et au niveau mondial ». Cette définition toute personnelle, non contestée en séance, a fait basculer le débat du soutien à l’Intifada à la question du génocide.

 

L’audition a, depuis, été regardée des centaines de millions de fois, suscitant la consternation. Soixante et onze représentants républicains, rejoints par trois démocrates, ont demandé dans une lettre la démission des trois présidentes, tandis que la Maison Blanche se désolidarisait d’elles. « Il est incroyable de devoir dire cela : les appels au génocide sont monstrueux et contraires à tout ce que nous représentons en tant que pays », a déclaré le porte-parole Andrew Bates. Toutefois, Joe Biden se garde de prendre la parole sur l’affaire.

 

Les enseignants noirs montent au créneau

Samedi 9 décembre, la présidente de Penn, Elizabeth Magill, est acculée à la démission. « Une est tombée, il en reste deux, écrit Elise Stefanik sur X. Harvard et MIT, faites ce que vous devez faire, le monde regarde. » En réalité, au MIT, Sally Kornbluth, qui est de confession juive et qui s’est moins empêtrée lors de l’audition que ses collègues, a déjà reçu le soutien de son conseil d’administration, tandis qu’à Harvard s’organise la résistance de l’intérieur, pour sauver l’icône en devenir Claudine Gay.

 

Dans une lettre, les enseignants noirs de Harvard, parmi lesquels l’historienne Annette Gordon-Reed, dénoncent les « insinuations » « spécieuses et motivées politiquement » selon lesquelles le processus de sélection de la présidente de l’université aurait conduit à choisir « une personne non qualifiée sur la base de considérations de race et de sexe ». « C’était un superbe choix et elle devrait avoir la chance d’accomplir son mandat afin de démontrer sa vision pour Harvard », assure le corps professoral noir.

 

En parallèle, plus de 700 enseignants volent au secours de leur présidente, au nom de la défense de la liberté académique. Ils exhortent la Harvard Corporation, l’équivalent du conseil d’administration, à « défendre, dans les termes les plus forts possibles, l’indépendance de l’université et à résister aux pressions politiques qui sont en contradiction avec l’engagement de Harvard en faveur de la liberté académique, y compris les appels à la destitution de la présidente Claudine Gay ».

 

L’économiste de Harvard, Jason Furman, ancien conseiller économique de Barack Obama, s’en alarme. Il soutient d’abord sa présidente, qui n’en finit pas de s’excuser. « Claudine Gay a dénoncé l’appel au génocide avant l’audience. Elle l’a dénoncé à l’audience. Et elle l’a dénoncé après l’audience. » Et met en garde contre une intrusion politique et financière. « En tant qu’école, nous avons du travail à faire. Sur l’antisémitisme. Sur l’islamophobie. Sur la liberté académique et la liberté d’expression. Sur la diversité des points de vue. Sur la vérité. Nous devons redoubler d’efforts dans bon nombre de ces domaines. Mais céder aux donateurs et aux politiciens nous coûtera en fin de compte notre liberté académique et notre liberté d’expression », estime M. Furman sur X.

En effet. Sur Fox News, c’est l’hallali. La chaîne conservatrice décortique les travaux académiques de Claudine Gay, mise en cause pour plagiat. De même, les riches donateurs menacent de couper les fonds, à commencer par le milliardaire Bill Ackman, ancien de Harvard de confession juive et patron du hedge fund Pershing Square. Après avoir demandé la publication de la liste des étudiants ayant signé une pétition propalestinienne, pour être certain de « ne pas les embaucher par inadvertance », il demande en boucle la démission de Mme Gay. Sans doute ces pressions l’ont-elle sauvée.

« Ils craignaient d’avoir l’air de se prosterner devant moi », affirmera sur X Bill Ackman, en délicatesse avec Harvard depuis que l’établissement a mal géré en Bourse un de ses dons – Harvard fait fructifier un capital de 50 milliards de dollars, soit 46 milliards d’euros. Ben Eidelson, professeur à la faculté de droit de Harvard, a qualifié M. Ackman d’« intrus ». « Notre université ne peut pas fonctionner si nous devons répondre à n’importe quels riches et aux hordes qu’ils mobilisent sur Twitter », a-t-il déclaré au New York Times.

 

« Maintenant commence la guerre de positions »

Finalement, mardi 12 décembre au petit matin, la Harvard Coporation décide de confirmer la présidente, clairement, mais avec des reproches : « Nos délibérations approfondies renforcent notre confiance dans le fait que la présidente Gay est la dirigeante idéale pour aider notre communauté à guérir et à résoudre les problèmes sociétaux très graves auxquels nous sommes confrontés », écrivent les onze membres du conseil.

Ils lui reprochent néanmoins d’avoir condamné beaucoup trop timidement l’attaque du Hamas – « la déclaration initiale de l’université aurait dû être une condamnation immédiate, directe et sans équivoque » et de l’égratigner sur ses publications, une enquête interne ayant « révélé quelques cas de citations inadéquates ». « Bien que l’analyse n’ait révélé aucune violation des normes de Harvard en matière de mauvaise conduite en recherche, la présidente Gay demande de manière proactive quatre corrections dans deux articles », écrit la Harvard Corporation.

 

Claudine Gay voit sa réputation ternie, mais elle est sauvée, et les conservateurs, qui voulaient monter à l’assaut de la citadelle universitaire, ont perdu, au moins provisoirement. « La guerre de mouvement a échoué… Maintenant commence la guerre de positions », lance sur X, mardi 12 décembre, le militant conservateur Christopher Rufo, qui cite le théoricien communiste italien Antonio Gramsci et qui se réjouit d’avoir, dans une première étape, « débusqué l’hégémonie au pouvoir à Harvard », dont Mme Gay serait l’incarnation, avec ses politiques de diversité, équité et inclusion. Ce déchirement sur l’antisémitisme a aussi été une formidable occasion pour la droite conservatrice de mener une offensive contre l’université de Harvard et les valeurs progressistes qu’elle incarne avec sa présidente Claudine Gay.

Si la « guerre de mouvement » politique a failli réussir, c’est que l’attaque terroriste du Hamas contre les civils israéliens a créé, ou au moins révélé, des failles béantes au sein des universités : entre les étudiants propalestiniens, souvent d’extrême gauche, et leurs condisciples juifs ; entre les étudiants et les riches donateurs, plus âgés, souvent juifs et quand ils sont chrétiens, plus sensibles à la défense d’Israël qu’à la cause palestinienne, tel Kenneth Griffin, fondateur d’un hedge fund. Le clivage, très visible, en rappelle un autre, à l’époque des manifestations contre la guerre au Vietnam. Mais cette fois, les campus ne font pas bloc contre une cible commune.

Intrusions dans les classes avec mégaphones

Tout s’enflamme dès le lendemain de l’attaque du Hamas, lorsque trente et une associations étudiantes de Harvard, représentant pour l’essentiel des communautés musulmanes, jugent « le régime israélien entièrement responsable de toute la violence qui se déroule. Les événements d’aujourd’hui ne se sont pas produits dans le vide. Au cours des deux dernières décennies, des millions de Palestiniens de Gaza ont été contraints de vivre dans une prison à ciel ouvert. Les responsables israéliens promettent d’“ouvrir les portes de l’enfer”, et les massacres à Gaza ont déjà commencé… le régime de l’apartheid est le seul responsable », stipule le texte. Pas un mot pour les femmes et les enfants israéliens assassinés ou enlevés.

Claudine Gay et la direction de Harvard publient un communiqué qui ne condamne pas explicitement le Hamas et qui ne critique pas le communiqué des associations propalestiniennes. Certes, très vite, elle diffuse un correctif, condamnant les « atrocités terroristes perpétrées par le Hamas » et affirmant qu’« aucun groupe étudiant – pas même trente groupes étudiants – ne parle au nom de l’université Harvard ou de ses dirigeants ». Las, tous les rattrapages, avec des communiqués supplémentaires ou la participation le 13 octobre à un dîner de shabbat à l’invitation d’une organisation juive de Harvard, ne calmeront pas vraiment un climat devenu délétère.

 

« En cinquante ans d’affiliation à Havard, je n’ai jamais été aussi désabusé et en désaccord que je le suis aujourd’hui », avait déploré dès le 9 octobre l’économiste Larry Summers, ancien président de l’université, qui attaque la direction. Michal Herzfeld, membre du conseil du Harvard Club of Israel, regrette aussi que l’université n’ait pas été capable de réagir immédiatement, contrairement à sa réaction après le meurtre de George Floyd ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les étudiants juifs ripostent, avec un camion qui se promène sur le campus, donnant en pâture le nom des étudiants ayant signé la lettre des trente et une associations.

Les deux camps, étudiants juifs et propalestiniens, se plaignent d’un climat d’insécurité, fait d’invectives, d’intrusions dans les salles de classe avec des mégaphones. L’université annonce alors la création d’une cellule de soutien pour les étudiants confrontés à la dénonciation, au harcèlement physique et en ligne, alors que le climat national est délétère. Depuis le 7 octobre, les attaques haineuses contre les juifs s’envolent (2 031 cas en deux mois, cinq fois plus que l’année précédente, selon l’Anti-Defamation League), ainsi que celles visant les musulmans (2 171 cas recensés par le Council on American-Islamic Relations, près de trois fois plus).

 

Réputation exécrable en matière de liberté d’expression

Les étudiants juifs et leurs défenseurs dénoncent le deux poids deux mesures. Pendant l’audition du 5 décembre, la représentante Stefanik est allée jusqu’à demander aux universitaires si appeler « au meurtre de masse des Afro-Américains à Harvard » était à leurs yeux protégé par la liberté d’expression, insinuant qu’elles toléraient des propos à l’égard des juifs qu’elles ne permettraient pas pour d’autres. « Et s’il s’agissait d’une minorité différente ? Et si Claudine Gay avait dit cela à propos des Noirs, des gays, des Américains d’origine asiatique ? », a renchéri l’étudiant juif de Harvard Shabbos Kestenbaum.

L’invocation de la liberté d’expression fait sourire dans une institution à la réputation exécrable. Selon le classement effectué par les associations conservatrices College Pulse et The Foundation for Individual Rights and Expression, qui ont sondé quelque 55 000 étudiants, l’université figure au 248ᵉ et dernier rang pour le respect de la liberté d’expression, avec pour commentaire : « épouvantable ».

Selon une enquête réalisée mi-2022 par le journal étudiant The Harvard Crimson, la tonalité politique du campus est fortement marquée à gauche : 80 % du corps enseignant se jugeait progressiste et seulement 1,5 % conservateur. « Présidente Gay, c’est le type de diversité académique que vous vantez pour Harvard ? », a demandé ironiquement le représentant républicain de Floride Aaron Bean. En 2019, Harvard avait révoqué un doyen, Ronald Sullivan, un professeur de droit afro-américain, après que des étudiants eurent protesté parce qu’il avait rejoint l’équipe d’avocats de l’ancien producteur hollywoodien et prédateur sexuel Harvey Weinstein.

 

La crise actuelle intervient dans un contexte d’ignorance, voire de négation de l’histoire : 20 % des moins de 30 ans pensent que la Shoah est un « mythe », contre 1 % des plus de 65 ans et 7 % de l’ensemble de la population américaine, selon une enquête YouGov pour le magazine britannique The Economist, réalisée début décembre. C’est pour cela que le rabbin David Wolpe a démissionné du comité sur l’antisémitisme de l’université, dénonçant une « idéologie qui fonctionne uniquement sur des axes d’oppression et qui place les Juifs comme des oppresseurs et donc intrinsèquement mauvais », écrit-il sur X, estimant que la tâche consiste désormais à « éduquer une génération » et à accomplir « un vaste désapprentissage » : « une partie du problème réside dans une simple mentalité moutonnière : des gens crient des slogans dont ils ignorent le sens et les implications, ou ne souhaitent pas être détestés en adoptant une position impopulaire ».

 

Un conseil sur l’antisémitisme contesté

Sur le terrain, la principale association Palestine Solidarity Committee (PSC) a vite rétropédalé, à la suite du tollé qu’avaient provoqué ses premiers communiqués et craignant d’être interdite comme à l’université Columbia de New York. « Depuis début novembre, le PSC n’a organisé aucune manifestation sur les campus », révélait le 6 décembre le journal des étudiants. Ce sont des associations informelles qui organisent des actions. Ainsi, le 17 novembre, neuf étudiants juifs du groupe Harvard Jews For Palestine ont occupé un bâtiment pendant vingt-quatre heures.

Ils font l’objet d’un examen disciplinaire. Début décembre, AFRO, association d’étudiants noirs, et Harvard BDS (référence au mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions, qui, depuis 2005, vise des entreprises opérant dans les colonies israéliennes ou dans les territoires occupés), formé de membres du syndicat United Auto Workers, ont lancé une semaine d’action.

« Lorsque les gens combattaient dans l’apartheid en Afrique du Sud, un système semblable à celui de Gaza et de la Cisjordanie, les Etats-Unis et l’Occident ont vilipendé les [responsables] et les ont qualifiés de terroristes. Aujourd’hui, nous les appelons des libérateurs », a déclaré le cofondateur d’AFRO, Kojo Acheampong. Le 4 décembre, le militant haranguait la foule en scandant « Vive la Palestine ; vive l’Intifada ; Intifada, Intifada ; mondialiser l’Intifada ! ». Dans un pays historiquement très favorable à Israël, tout ce qui défend les Palestiniens peut conduire rapidement à être étiqueté antisémite.

 

Fin octobre, Mme Gay avait créé un conseil sur l’antisémitisme – qui avait été immédiatement contesté : « Harvard ignore ses propres experts en antisémitisme, accuse le magazine juif progressiste Jewish Currents. Même si la lettre [de mission de Claudine] Gay suggère que le groupe de travail explorera ce qu’elle considère comme une relation inquiétante entre l’antisémitisme et l’activisme en faveur des droits des Palestiniens, aucun de ses membres n’a mené de recherche scientifique sur cette prétendue intersection. » Le magazine note l’absence de Derek Penslar, directeur du Centre d’études juives de Harvard et éminent spécialiste du sionisme et de ses critiques : « La composition du groupe suggère que ses membres ont été sélectionnés moins pour leurs références universitaires que pour leurs convictions politiques, qui correspondent à celles de donateurs influents. »

La polémique tourne autour du slogan, devenu banal dans les manifestations propalestiniennes, inspiré par les revendications du Hamas : « From the river to the sea, Palestine will be free » (De la rivière à la mer, la Palestine sera libre). Pour les défenseurs d’Israël, l’expression, suggérant la disparition de l’Etat hébreu, est un « appel au génocide » et doit donc être interdite sur les campus, même s’il s’agit d’une violation de la liberté d’expression. Greg Lukianoff, le président de la Fondation pour les droits individuels et l’expression, conteste cette lecture. « Je comprends l’argument selon lequel il s’agirait d’un appel au génocide, expliquait-il le 11 décembre sur la chaîne parlementaire C-Span. Mais du point de vue du premier amendement [sur la liberté d’expression], il ne fait aucun doute que l’expression est protégée. » Sauf, nuance-t-il, si elle s’intègre dans un discours qui comporte des menaces, incite à la violence ou à la discrimination.

 

« Nous devons restreindre la parole »

Même argumentation pour le mot « Intifada », devenu synonyme d’incitation au génocide aux yeux de nombre de défenseurs d’Israël. « En soi, le terme est protégé », confirme le juriste, sauf dans un contexte de menaces : « Si vous encerclez des étudiants juifs en hurlant Intifada », par exemple. Pour lui, Claudine Gay et sa collègue de Penn University, Elizabeth Magill, ont eu raison de mettre en avant le « contexte » lors de leur audition au Congrès. « Mais elles l’ont tellement mal expliqué », déplore-t-il.

Greg Lukianoff se dit effrayé par les réactions de ceux qui veulent restreindre la liberté d’expression, comme Claire Finkelstein, la directrice du centre pour l’éthique et l’état de droit à l’université de Pennsylvanie. La philosophe plaidait dans le Washington Post du 10 décembre pour une forme de censure. « Pour lutter contre l’antisémitisme sur les campus, nous devons restreindre la parole, écrivait-elle. La valeur de la liberté d’expression a été élevée à un rang quasi sacré dans les campus. Résultat : les universités ont été obligées de tolérer les discours de haine. »

Greg Lukianoff réfute cet argument. Pour lui, la liberté d’expression est au contraire constamment battue en brèche dans les universités. Son organisation a recensé plus de mille campagnes de dénonciation contre des professeurs dans les dix dernières années. Deux tiers d’entre elles ont abouti à des sanctions contre l’enseignant. Et deux cents professeurs ont été congédiés, soit deux fois plus que pendant le maccarthysme et la chasse aux communistes des années 1950. Plaider pour plus de censure est à ses yeux une erreur : « C’est justement par manque de liberté d’expression et de dialogue par-delà les différences que l’on aboutit à cette radicalisation. »

 

Des clivages entre générations face à la guerre à Gaza

La mobilisation des campus est trompeuse. Dans l’ensemble, les jeunes Américains ne suivent pas l’évolution du conflit d’aussi près que les personnes âgées. Selon une enquête du Pew Research Center, menée du 27 novembre au 3 décembre auprès de 5 203 adultes, un tiers (35 %) des adultes âgés de 50 ans et plus disent suivre la guerre de « près » ou de « très près », soit deux fois plus, proportionnellement, que les moins de 50 ans (18 %).

L’enquête montre des clivages importants entre les générations. La grande majorité des Américains (65 %) font porter au Hamas l’essentiel de la responsabilité dans le conflit. Chez les jeunes âgés de 18 à 29 ans, cette proportion tombe à 46 %. Alors que 41 % des Américains désapprouvent fortement la réponse de l’administration Biden à la guerre, l’hostilité est plus forte chez les jeunes (46 %). Seulement 19 % approuvent fortement la politique pro-israélienne du président, contre 35 % pour l’ensemble de la population (24 % sont indécis).

Selon l’enquête, la population dans son ensemble est plus préoccupée par l’antisémitisme que par l’islamophobie. Près de la moitié des Américains (48 %) se disent « extrêmement » ou « très préoccupés » par la perspective de voir la violence contre la communauté juive aux Etats-Unis augmenter en raison du conflit. Ils ne sont que 37 % à exprimer la même crainte pour ce qui concerne la population musulmane.

Le fossé est encore plus notable entre démocrates et républicains. Si les deux groupes font part d’une préoccupation similaire en ce concerne les menaces contre les juifs (49 % de démocrates, 48 % de républicains se disent inquiets), seuls 22 % des républicains se disent préoccupés par la possible montée de la violence contre les musulmans, contre 53 % des démocrates.

 

Arnaud Leparmentier(New York, correspondant) et Corine Lesnes(San Francisco, correspondante)