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Motaz Azaiza, le reporter de guerre palestinien aux 18 millions d’abonnés, quitte la bande de Gaza

Le jeune journaliste autodidacte, devenu une célébrité sur Instagram, s’est envolé pour le Qatar après avoir couvert, pendant plus de trois mois, les ravages causés par les bombardements israéliens.

Par Clothilde Mraffko (Jérusalem, correspondance)

Publié hier à 15h00, modifié hier à 15h14

 

Capture d'écran d'une vidéo du journaliste palestinien Motaz Azaiza, diffusée sur son compte Instagram, le 17 janvier 2023.

  Capture d'écran d'une vidéo du journaliste palestinien Motaz Azaiza, diffusée sur son compte Instagram, le 17 janvier 2023. MOTAZ_AZAIZA VIA INSTAGRAM

 

Lunettes rectangulaires, cheveux en brosse et barbe noire, Motaz Azaiza est l’un des visages les plus connus de Gaza. Pendant 108 jours, le photographe palestinien de 24 ans a documenté les souffrances vécues dans l’enclave, filmant et diffusant, au péril de sa vie et en temps réel, les images des massacres, des déplacements forcés et de la catastrophe humanitaire, dans l’étroite bande de terre ravagée par la brutale guerre lancée par Israël en riposte aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023. Le 23 janvier, le jeune homme aux quelque 18,4 millions d’abonnés sur Instagram a pourtant quitté la bande de Gaza.

« C’est la dernière fois que vous me voyez avec cette lourde veste qui pue », a-t-il déclaré dans une courte vidéo, visiblement ému, avant d’enlever son gilet pare-balles et d’enlacer ses confrères restés sur place. Motaz Azaiza a ensuite filmé son départ, de l’aéroport d’El-Arich, en Egypte, pour le Qatar. Signe de l’enfermement que subissent les Gazaouis depuis des décennies, c’est la première fois de sa vie qu’il montait dans un avion. « Devrais-je être heureux ?  », a-t-il inscrit sur une vidéo filmée au-dessus des nuages, trahissant les cas de conscience des rares Gazaouis autorisés à sortir de l’enclave, se sentant soulagés d’être enfin en sécurité, mais aussi coupables de laisser les leurs sous le feu des bombes israéliennes.

 

Le journaliste n’a pas explicité les raisons de son départ. Fin octobre 2023 déjà, certains de ses proches demandaient qu’on cesse de partager ses coordonnées personnelles, de peur qu’il soit pris pour cible. Il affirmait avoir reçu des menaces de mort de l’armée israélienne. Selon le Comité pour la protection des journalistes, quelque soixante-seize reporters et professionnels des médias palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre, faisant de la guerre à Gaza la plus meurtrière pour la profession, dans l’histoire récente. Israël est accusé de viser délibérément les journalistes, ce dont l’armée se défend. Reporters sans frontières a déposé une plainte devant la Cour pénale internationale, le 22 décembre, pour « crimes de guerre commis par l’armée israélienne contre sept reporters palestiniens ».

 

Une fenêtre sur le conflit

Né dans le camp de réfugiés de Deir Al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, titulaire d’un diplôme en littérature anglaise de l’université Al-Azhar, aujourd’hui détruite, Motaz Azaiza travaillait pour l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens. Après le 7 octobre, il se lance dans le journalisme, en indépendant, pour alerter le monde sur le carnage en cours dans l’enclave, qu’il qualifie de « génocide ». Ses publications en anglais ouvrent une fenêtre sur cette guerre que les médias du monde entier sont contraints de couvrir à distance, l’Etat israélien leur interdisant de pénétrer dans le territoire palestinien. Comme toute la population de Gaza, il paie un lourd tribut aux bombardements : moins d’une semaine après le début de l’offensive, le 12 octobre 2023, il annonce que « plus de quinze membres de sa famille [ont] été assassinés dans une frappe aérienne israélienne ». Début décembre, il postait une vidéo le montrant en train de courir avec un confrère, hors d’haleine, pour échapper à des tirs de chars israéliens dans leur direction.

 

Ses comptes sur les réseaux sociaux mêlent des publications journalistiques classiques, avec des photos parfois difficilement soutenables d’enfants blessés et de déplacés survivant dans des conditions effroyables, à des vidéos plus personnelles. Pendant plus de trois mois, d’une voix calme, contrastant avec le chaos environnant, Motaz Azaiza a partagé ses peurs, ses élans de colère contre l’apathie de la communauté internationale, mais aussi quelques rares moments de chaleur avec ses confrères. Le 14 octobre, il se filmait, retenant ses larmes, dans une ambulance, tenant un très jeune enfant mort dans ses bras. Le 11 janvier, il écrivait sur X : « Devrais-je continuer à filmer et couvrir encore tout ça ? (…) Même si je m’en sors, serai-je en mesure, mentalement, de pouvoir profiter ne serait-ce que d’un moment dans le reste de ma vie ? »

 

Sa photo d’une petite fille prisonnière des décombres de sa maison bombardée, dans le camp de réfugiés de Nusseirat, a été choisie parmi les dix photos de l’année 2023 par le magazine Time. Lui-même a été désigné homme de l’année par l’édition Moyen-Orient du magazine GQ. Avant lui, une autre « célébrité » de Gaza, l’instagrameuse Plestia Alaqad, qui a couvert les deux premiers mois de la guerre, a évacué la bande côtière et s’est rendue avec sa famille en Australie. Quant à Wael Al-Dahdouh, le correspondant d’Al-Jazira, rendu fameux par son obstination à couvrir les bombardements, en dépit d’une blessure et de la mort de son épouse et de plusieurs de ses enfants, il a, lui aussi, rejoint le Qatar, mi-janvier, pour subir une intervention chirurgicale. Motaz Azaiza, dans sa vidéo de départ, l’a promis : il espère être rapidement de retour à Gaza, « pour reconstruire » sa terre natale.

Clothilde Mraffko(Jérusalem, correspondance)